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t-on beaucoup massacré des nôtres ? fit-il en souriant et montrant une railleuse joie qui brilla dans ses yeux bruns.

— Non, dit Chaudieu, tout est à la paix.

— Tant pis, tant pis ! s’écria Calvin. Toute pacification serait un mal, si chaque fois ce ne devait pas être un piége. La persécution est notre force. Où en serions-nous, si l’Église s’emparait de la Réforme ?

— Mais, dit Théodore, c’est ce que semble vouloir faire la reine-mère.

— Elle en est bien capable, dit Calvin. J’étudie cette femme…

— D’ici, s’écria Chaudieu.

— Y a-t-il des distances pour l’esprit, répliqua sévèrement Calvin qui trouva de l’irrévérence dans l’interruption. Catherine souhaite le pouvoir, et les femmes dans cette visée n’ont plus ni honneur ni foi. De quoi s’agit-il ?

— Eh ! bien, elle nous propose une espèce de concile, dit Théodore de Bèze.

— Auprès de Paris ? demanda Calvin brusquement.

— Oui !

— Ah ! tant mieux ! fit Calvin.

— Et nous y essaierons de nous entendre et de dresser un acte public pour fondre les deux Églises.

— Ah ! si elle avait le courage de séparer l’Église française de la cour de Rome et de créer en France un patriarche comme dans l’Église grecque, s’écria le Réformateur dont les yeux brillèrent à cette idée qui lui permettait de monter sur un trône. Mais, mon fils, la nièce d’un pape peut-elle être franche ? elle veut gagner du temps.

— Ne nous en faut-il pas pour réparer notre échec d’Amboise, et organiser une résistance formidable sur tous les points du royaume ?

— Elle a renvoyé la reine d’Écosse, dit Chaudieu.

— Une de moins ! dit Calvin en passant sous la porte de Rives, Élisabeth d’Angleterre nous la contiendra. Deux reines voisines seront bientôt en guerre : l’une est belle et l’autre est assez laide, première cause d’irritation ; puis il y a de plus la question d’illégitimité…

Il se frotta les mains, et sa joie eut un caractère si féroce, que de Bèze frissonna ; car il aperçut alors la mare de sang que contemplait son maître depuis un moment.