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gislateur ignora totalement l’amitié ; mais ne craignant pas de trouver en lui son successeur, il aimait à jouer avec Théodore comme Richelieu joua plus tard avec son chat ; il le trouvait souple et léger. En voyant de Bèze réussir admirablement dans toutes ses missions, il aimait cet instrument poli dont il se croyait l’âme et le conducteur ; tant il est vrai que les hommes les plus farouches ne peuvent se dispenser d’un semblant d’affection. Théodore fut l’enfant gâté de Calvin, le sévère réformateur ne le grondait pas, il lui passait ses dérèglements, ses amours, ses beaux costumes et son élégance de langage. Peut-être Calvin était-il content de montrer que la Réforme pouvait lutter de grâce avec les gens de cour. Théodore de Bèze voulait introduire dans Genève le goût des arts, de la littérature, de la poésie, et Calvin écoutait ses plans sans froncer ses gros sourcils gris. Ainsi le contraste du caractère et de la personne était aussi complet que les contrastes de l’esprit entre ces deux hommes célèbres.

Calvin reçut le salut très-humble de Chaudieu, en répondant par une légère inclination de tête. Chaudieu passa dans son bras droit les brides des deux chevaux et suivit ces deux grands hommes de la Réformation, en se tenant à gauche de Théodore de Bèze, qui marchait à droite de Calvin. La bonne de Calvin courut pour empêcher qu’on ne fermât la porte de Rives, en faisant observer au capitaine de garde que le pasteur venait d’être pris de douleurs cuisantes.

Théodore de Bèze était un fils de cette commune de Vézelay, la première qui se confédéra et dont la curieuse histoire a été faite par l’un des Thierry. Ainsi l’esprit de bourgeoisie et de résistance, endémique à Vézelay, a sans doute fourni sa part dans la grande révolte des Réformés en la personne de cet homme qui certes est une des plus curieuses figures de l’Hérésie.

— Vous souffrez donc toujours ? dit Théodore à Calvin.

— Un Catholique dirait comme un damné, répondit le Réformateur avec cette amertume qu’il mettait dans ses moindres paroles. Ah ! je m’en vais, mon enfant ! Et que deviendrez-vous sans moi ?

— Nous combattrons à la clarté de vos livres ! dit Chaudieu.

Calvin sourit, son visage empourpré prit une expression gracieuse, et il regarda favorablement Chaudieu.

— Hé ! bien, vous m’apportez des nouvelles ? reprit-il. Nous a-