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représenté que par ces images grandioses. Ne trouvez-vous pas en vous-même un sentiment de la splendeur que nous prêtons à cette antique monarchie ?

— C’est de la musique sublime ! dit le Français.

— L’air de la Pace mia smarrita, que va chanter la reine, est un de ces airs de bravoure et de facture auxquels tous les compositeurs sont condamnés et qui nuisent au dessin général du poème, mais leur opéra n’existerait souvent point s’ils ne satisfaisaient l’amour-propre de la prima donna. Néanmoins cette tartine musicale est si largement traitée qu’elle est textuellement exécutée sur tous les théâtres. Elle est si brillante que les cantatrices n’y substituent point leur air favori, comme cela se pratique dans la plupart des opéras. Enfin voici le point brillant de la partition, le duo d’Osiride et d’Elcia dans le souterrain où il veut la cacher pour l’enlever aux Hébreux qui partent, et s’enfuir avec elle de l’Égypte. Les deux amants sont troublés par l’arrivée d’Aaron qui est allé prévenir Amalthée, et nous allons entendre le roi des quatuors : Mi manca la voce, mi sento morire. Ce Mi manca la voce est un de ces chefs-d’œuvre qui résisteront à tout, même au temps, ce grand destructeur des modes en musique, car il est pris à ce langage d’âme qui ne varie jamais. Mozart possède en propre son fameux finale de Don Juan, Marcello son psaume Coeli enarrant gloriam Dei, Cimarosa son Pria chè spunti, Beethoven sa Symphonie en ut mineur, Pergolèse son Stabat, Rossini gardera son Mi manca la voce. C’est surtout la facilité merveilleuse avec laquelle il varie la forme qu’il faut admirer chez Rossini ; pour obtenir ce grand effet, il a eu recours au vieux mode du canon à l’unisson pour faire entrer ses voix et les fondre dans une même mélodie. Comme la forme de ces sublimes cantilènes était neuve, il l’a établie dans un vieux cadre ; et pour la mieux mettre en relief, il a éteint l’orchestre, en n’accompagnant la voix que par des arpèges de harpes. Il est impossible d’avoir plus d’esprit dans les détails et plus de grandeur dans l’effet général. Mon Dieu ! toujours du tumulte, dit la duchesse.

Genovese, qui avait si bien chanté son duo avec Carthagenova, faisait sa propre charge auprès de la Tinti. De grand chanteur, il devenait le plus mauvais de tous les choristes. Il s’éleva le plus effroyable tumulte qui ait oncques troublé les voûtes de la Fenice. Le tumulte ne céda qu’à la voix de la Tinti qui, enragée de l’obstacle