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le prince, qui savaient cette langue comme la savent beaucoup de Vénitiens, n’avait pu être entendue de la duchesse et du Français. Quoique très en dehors du cercle d’intérêt qui enlaçait la duchesse, Emilio et Vendramin, car tous trois se comprenaient par des regards italiens, fins, incisifs, voilés, obliques tour à tour, le médecin finit par entrevoir une partie de la vérité. Une ardente prière de la duchesse à Vendramin avait dicté à ce jeune Vénitien sa proposition à Emilio, car la Cataneo avait flairé la souffrance qu’éprouvait son amant dans le pur ciel où il s’égarait, elle qui ne flairait pas la Tinti.

— Ces deux jeunes gens sont fous, dit le médecin.

— Quant au prince, répondit la duchesse, laissez-moi le soin de le guérir ; quant à Vendramin, s’il n’a pas entendu cette sublime musique, peut-être est-il incurable.

— Si vous vouliez me dire d’où vient leur folie, je les guérirais, s’écria le médecin.

— Depuis quand un grand médecin n’est-il plus un devin ? demanda railleusement la duchesse.

Le ballet était fini depuis longtemps, le second acte de Mosè commençait, le parterre se montrait très attentif. Le bruit s’était répandu que le duc Cataneo avait sermonné Genovese en lui représentant combien il faisait de tort à Clarina, la diva du jour. On s’attendait à un sublime second acte.

— Le prince et son père ouvrent la scène, dit la duchesse, ils ont cédé de nouveau, tout en insultant aux Hébreux ; mais ils frémissent de rage. Le père est consolé par le prochain mariage de son fils, et le fils est désolé de cet obstacle qui augmente encore son amour, contrarié de tous côtés. Genovese et Carthagenova chantent admirablement. Vous le voyez, le ténor fait sa paix avec le parterre. Comme il met bien en œuvre les richesses de cette musique !… La phrase dite par le fils sur la tonique, redite par le père sur la dominante, appartient au système simple et grave sur lequel repose cette partition, où la sobriété des moyens rend encore plus étonnante la fertilité de la musique. L’Égypte est là tout entière. Je ne crois pas qu’il existe un morceau moderne où respire une pareille noblesse. La paternité grave et majestueuse d’un roi s’exprime dans cette phrase magnifique et conforme au grand style qui règne dans toute l’œuvre. Certes, le fils d’un Pharaon versant sa douleur dans le sein de son père, et la lui faisant éprouver, ne peut être mieux