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de Ximénès à qui a ressemblé aussi le cardinal de Richelieu. Ces cinq cardinaux ont eu tous une figure à la fois chafouine et terrible ; tandis que la figure de l’homme de guerre a présenté le type basque et montagnard qui s’est également trouvé dans celle de Henri IV, mais qu’une même blessure coutura chez le père et chez le fils sans leur ôter la grâce et l’affabilité par lesquelles ils séduisaient les soldats autant que par leur bravoure.

Il n’est pas inutile de dire où et comment le grand-maître reçut cette blessure, car elle fut guérie par l’audace d’un des personnages de ce drame, par Ambroise Paré, l’obligé du syndic des pelletiers. Au siège de Calais le duc eut le visage traversé de part en part d’un coup de lance dont le tronçon, après avoir percé la joue au-dessous de l’œil droit, pénétra jusqu’à la nuque au-dessous de l’oreille gauche et resta dans le visage. Le duc gisait dans sa tente au milieu d’une désolation générale, et serait mort sans l’action hardie et le dévouement d’Ambroise Paré. — Le duc n’est pas mort, messieurs, dit Ambroise en regardant les assistants qui fondaient en larmes ; mais il va bientôt mourir, dit-il en se reprenant, si je n’osais le traiter comme tel, et je vais m’y hasarder au risque de tout ce qui peut m’arriver. Voyez ? il mit le pied gauche sur la poitrine du duc, prit le bois de la lance avec ses ongles, l’ébranla par degrés, et finit par retirer le fer de la tête comme s’il s’agissait d’une chose et non d’un homme. S’il guérit le prince si audacieusement traité, il ne put empêcher qu’il ne lui restât dans le visage l’horrible blessure d’où lui vint son surnom. Par une cause semblable, ce surnom fut aussi celui de son fils.

Entièrement maîtres du roi François II, que sa femme dominait par un amour mutuel excessif duquel ils savaient tirer parti, ces deux grands princes lorrains régnaient alors en France et n’avaient d’autre ennemi à la cour que Catherine de Médicis. Aussi jamais plus grands politiques ne jouèrent-ils un jeu plus serré. La position mutuelle de l’ambitieuse veuve de Henri II et de l’ambitieuse maison de Lorraine, était pour ainsi dire expliquée par la place qu’ils occupaient sur la terrasse du château durant la matinée Christophe devait arriver. La reine-mère, qui feignait un excessif attachement pour les Guise, avait demandé communication des nouvelles apportées par les trois seigneurs venus de différents endroits du royaume ; mais elle avait eu la mortification d’être poliment congédiée par le cardinal. Elle se promenait à l’extrémité des