Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/547

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux reines avait obtenu le plus périlleux des rôles, et qui en fait la principale figure de cette Étude. Le danger dans lequel allait tomber ce zélé Réformé devint flagrant durant la matinée même où il quittait le port de Beaugency, muni de documents précieux qui compromettaient les plus hautes têtes de la noblesse et embarqué pour Blois en compagnie d’un rusé partisan, par l’infatigable La Renaudie, venu sur le port avant lui.

Pendant que la toue où se trouvait Christophe, poussée par un petit vent d’est, descendait la Loire, le fameux cardinal Charles de Lorraine et le deuxième duc de Guise, un des plus grands hommes de guerre de ce temps, comme deux aigles du haut d’un rocher, contemplaient leur situation et regardaient prudemment autour d’eux avant de frapper le grand coup par lequel ils essayèrent une première fois de tuer en France la Réforme, à Amboise, et qui fut recommencé à Paris douze années après, le 24 août 1572.

Dans la nuit, trois seigneurs qui jouèrent un grand rôle dans le drame des douze années qui suivirent ce double complot également tramé par les Guise et par les Réformés, étaient arrivés chacun à bride abattue, laissant leurs chevaux quasi morts à la poterne du château, que gardaient des chefs et des soldats entièrement dévoués au duc de Guise, l’idole des gens de guerre.

Un mot sur ce grand homme, mais un mot qui dise d’abord où en était sa fortune.

Sa mère était Antoinette de Bourbon, grand’tante d’Henri IV. À quoi servent les alliances ? il visait en ce moment son cousin le prince de Condé à la tête. Sa nièce était Marie Stuart. Sa femme était Anne, fille du duc de Ferrare. Le grand-connétable Anne de Montmorency écrivait au duc de Guise : Monseigneur, comme à un roi, et finissait par : Votre très-humble serviteur. Guise, grand-maître de la maison du roi, lui répondait : Monsieur le connétable, et signait comme il signait pour le parlement : Votre bien bon ami.

Quant au cardinal, appelé le pape Transalpin et nommé Sa Sainteté par Estienne, il avait toute l’Église monastique de France à lui, et traitait d’égal à égal avec le Saint-Père. Vain de son éloquence, il était un des plus forts théologiens du temps, et surveillait à la fois la France et l’Italie par trois ordres religieux qui lui étaient absolument dévoués, qui marchaient pour lui jour et nuit, lui servaient d’espions et de conseillers.