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traire mise en esclavage par des étrangers dont les manières polies avaient mille fois plus de brutalité que celle des geôliers. Aucune de ses démarches ne pouvait être secrète. Celles de ses femmes qui lui étaient dévouées avaient ou des amants dévoués aux Guise ou des Argus autour d’elles. En effet, dans ce temps, les passions offraient la bizarrerie que leur communiquera toujours l’antagonisme puissant de deux intérêts contraires dans l’État. La galanterie, qui servit tant à Catherine, était aussi l’un des moyens des Guise. Ainsi le prince de Condé, premier chef de la Réformation, avait pour amie la maréchale de Saint-André dont le mari était l’âme damnée du grand-maître. Le cardinal, à qui l’affaire du Vidame de Chartres avait prouvé que Catherine était plus invaincue qu’invincible, lui faisait la cour. Le jeu de toutes les passions compliquait donc étrangement celui de la politique, en en faisant une partie d’échecs double, où il fallait observer et le cœur et la tête d’un homme, pour savoir si, à l’occasion, l’un ne démentirait pas l’autre. Quoique sans cesse en présence du cardinal de Lorraine ou du duc François de Guise, qui se défiaient d’elle, l’ennemie la plus intime et la plus habile de Catherine de Médicis était sa belle-fille, la reine Marie, petite blonde malicieuse comme une soubrette, fière comme une Stuart qui portait trois couronnes, instruite comme un vieux savant, espiègle comme une pensionnaire de couvent, amoureuse de son mari comme une courtisane l’est de son amant, dévouée à ses oncles qu’elle admirait, et heureuse de voir le roi François partager, elle y aidant, la bonne opinion qu’elle avait d’eux. Une belle-mère est toujours un personnage qu’une belle-fille n’aime point, surtout alors qu’elle a porté la couronne et qu’elle veut la conserver, ce que l’imprudente Catherine avait trop laissé voir. Sa situation précédente, quand Diane de Poitiers régnait sur le roi Henri II, était plus supportable : elle obtenait au moins les honneurs dus à une reine et les respects de la cour ; tandis qu’en ce moment le duc et le cardinal, qui n’avaient autour d’eux que leurs créatures, semblaient prendre plaisir à son abaissement ; Catherine, embastillée par des courtisans, recevait, non pas de jour en jour, mais d’heure en heure, des coups qui blessaient son amour-propre ; car les Guise tenaient à continuer avec elle le système qu’avait adopté contre elle le feu roi.

Les trente-six ans de malheurs qui désolèrent la France ont peut-être commencé par la scène dans laquelle le fils du pelletier des