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tout ce qu’il y a de sacré doit passer par les verges de votre caricature. La vulgarisation des grandes idées par vos airs de contredanse, est la caricature en musique. Chez vous, l’esprit tue l’âme, comme le raisonnement y tue la raison.

La loge entière resta muette pendant le récitatif d’Osiride et de Membré qui complotent de rendre inutile l’ordre du départ donné par le Pharaon en faveur des Hébreux.

— Vous ai-je fâchée ? dit le médecin à la duchesse, j’en serais au désespoir. Votre parole est comme une baguette magique, elle ouvre des cases dans mon cerveau et en fait sortir des idées nouvelles, animées par ces chants sublimes.

— Non, dit-elle. Vous avez loué notre grand musicien à votre manière. Rossini réussira chez vous, je le vois, par ses côtés spirituels et sensuels. Espérons en quelques âmes nobles et amoureuses de l’idéal qui doivent se trouver dans votre fécond pays et qui apprécieront l’élévation, le grandiose d’une telle musique. Ah ! voici le fameux duo entre Elcia et Osiride, reprit-elle en profitant du temps que lui donna la triple salve d’applaudissements par laquelle le parterre salua la Tinti qui faisait sa première entrée. Si la Tinti a bien compris le rôle d’Elcia, vous allez entendre les chants sublimes d’une femme à la fois déchirée par l’amour de la patrie et par un amour pour un de ses oppresseurs, tandis qu’Osiride, possédé d’une passion frénétique pour sa belle conquête, s’efforce de la conserver. L’opéra repose autant sur cette grande idée, que sur la résistance des Pharaons à la puissance de Dieu et de la liberté, vous devez vous y associer sous peine de ne rien comprendre à cette œuvre immense. Malgré la défaveur avec laquelle vous acceptez les inventions de nos poètes de livrets, permettez-moi de vous faire remarquer l’art avec lequel ce drame est construit. L’antagonisme nécessaire à toutes les belles œuvres, et si favorable au développement de la musique, s’y trouve. Quoi de plus riche qu’un peuple voulant sa liberté, retenu dans les fers par la mauvaise foi, soutenu par Dieu, entassant prodiges sur prodiges pour devenir libre ? Quoi de plus dramatique que l’amour du prince pour une Juive, et qui justifie presque les trahisons du pouvoir oppresseur ? Voilà pourtant tout ce qu’exprime ce hardi, cet immense poème musical, où Rossini a su conserver à chaque peuple sa nationalité fantastique, car nous leur avons prêté des grandeurs historiques auxquelles ont consenti toutes les imaginations. Les chants des Hébreux et leur