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était vêtue en étoffes de laine de couleurs grises et harmonieuses ; sa gorgerette, simplement plissée, tranchait par sa blancheur sur ses vêtements ; elle avait un bonnet de velours brun qui ressemblait beaucoup à un béguin d’enfant ; mais il était orné de ruches et de barbes en gaze tannée, ou autrement couleur de tan, qui descendaient de chaque côté de sa figure. Quoique blonde et blanche comme une blonde, elle paraissait rusée, fine, tout en essayant de cacher sa malice sous l’air d’une fille honnêtement éduquée. Tant que les deux servantes allèrent et vinrent en mettant la nappe, les brocs, les grands plats d’étain et les couverts, l’orfévre et sa fille, le pelletier et sa femme, restèrent devant la haute cheminée à lambrequins de serge rouge bordée de franges noires, disant des riens. Babette avait beau demander où pouvait être Christophe, la mère et le père du jeune Huguenot donnaient des réponses évasives ; mais quand les deux familles furent attablées, et que les deux servantes furent à la cuisine, Lecamus dit à sa future belle-fille : — Christophe est parti pour la cour.

— À Blois ! faire un pareil voyage sans m’avoir dit adieu ! dit-elle.

— L’affaire était pressée, dit la vieille mère.

— Mon compère, dit le pelletier en reprenant la conversation abandonnée, nous allons avoir du grabuge en France : les Reformés se remuent.

— S’ils triomphent, ce ne sera qu’après de grosses guerres pendant lesquelles le commerce ira mal, dit Lallier incapable de s’élever plus haut que la sphère commerciale.

— Mon père, qui a vu la fin des guerres entre les Bourguignons et les Armagnacs, m’a dit que notre famille ne s’en serait pas sauvée si l’un de ses grands-pères, le père de sa mère, n’avait pas été un Goix, l’un de ces fameux bouchers de la Halle qui tenaient pour les Bourguignons, tandis que l’autre, un Lecamus, était du parti des Armagnacs ; ils paraissaient vouloir s’arracher la peau devant le monde, mais ils s’entendaient en famille. Ainsi, tâchons de sauver Christophe, peut-être dans l’occasion nous sauvera-t-il.

— Vous êtes un fin matois, compère, dit l’orfévre.

— Non ! répondit Lecamus. La bourgeoisie doit penser à elle, le peuple et la noblesse lui en veulent également. La bourgeoisie parisienne donne des craintes à tout le monde, excepté au roi qui la sait son amie.

— Vous qui êtes si savant et qui avez tant vu de choses, demanda