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fils d’un pelletier doit attendre que tout le monde en soit. Je ne condamne pas les réformateurs, ce n’est pas mon métier ; mais la cour est catholique, les deux reines sont catholiques, le Parlement est catholique ; nous les fournissons, nous devons être catholiques. Tu ne sortiras pas d’ici, Christophe, ou je te mets chez le président de Thou, ton parrain, qui te gardera près de lui nuit et jour et te fera noircir du papier au lieu de te laisser noircir l’âme en la cuisine de ces damnés Génevois.

— Mon père, dit Christophe en s’appuyant sur le dos de la chaise où était le vieillard, envoyez-moi donc à Blois porter le surcot à la reine Marie et réclamer notre argent de la reine-mère, sans cela, je suis perdu ! et vous tenez à moi.

— Perdu ? reprit le vieillard sans manifester le moindre étonnement. Si tu restes ici, tu ne seras point perdu, je te retrouverai toujours.

— On m’y tuera.

— Comment ?

— Les plus ardents des Huguenots ont jeté les yeux sur moi pour les servir en quelque chose, et si je manque à faire ce que je viens de promettre, ils me tueront en plein jour, dans la rue, ici, comme on a tué Minard. Mais si vous m’envoyez à la cour pour vos affaires, peut-être pourrai-je me justifier également bien des deux côtés. Ou je réussirai sans avoir couru aucun danger et saurai conquérir ainsi une belle place dans le parti, ou si le danger est trop grand, je ne ferai que vos affaires.

Le père se leva comme si son fauteuil eût été de fer rougi.

— Ma femme, dit-il, laisse-nous, et veille à ce que nous soyons bien seuls, Christophe et moi.

Quand mademoiselle Lecamus fut sortie, le pelletier prit son fils par un bouton et l’emmena dans le coin de la salle qui faisait l’encoignure du pont.

— Christophe, lui dit-il dans le tuyau de l’oreille comme quand il venait de lui parler du prince de Condé, sois Huguenot, si tu as ce vice-là, mais sois-le avec prudence, au fond du cœur et non de manière à te faire montrer au doigt dans le quartier. Ce que tu viens de m’avouer me prouve combien les chefs ont confiance en toi. Que vas-tu donc faire à la cour ?

— Je ne saurais vous le dire, répondit Christophe, je ne le sais pas encore bien moi-même.