Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/450

Cette page n’a pas encore été corrigée

à sa femme ; il s’attendrissait avec la comtesse, qui était en effet celle de ses filles naturelles que Louis XI aimait le plus ; il lui promettait d’aller, dès le lendemain, tout révéler à ce terrible père, ils en arrangeaient les vouloirs à leur gré, cassant le mariage et emprisonnant le mari, au moment où ils pouvaient être la proie de son épée au moindre bruit qui l’eût réveillé. Mais dans le songe, la lueur de la lampe, la flamme de leurs yeux, les couleurs des étoffes et des tapisseries étaient plus vives ; une odeur plus pénétrante s’exhalait des vêtements de nuit, il se trouvait plus d’amour dans l’air, plus de feu autour d’eux qu’il n’y en avait eu dans la scène réelle. Aussi, la Marie du sommeil résistait-elle bien moins que la véritable Marie à ces regards langoureux, à ces douces prières, à ces magiques interrogations, à ces adroits silences, à ces voluptueuses sollicitations, à ces fausses générosités qui rendent les premiers instants de la passion si complétement ardents, et répandent dans les âmes une ivresse nouvelle à chaque nouveau progrès de l’amour. Suivant la jurisprudence amoureuse de cette époque, Marie de Saint-Vallier octroyait à son amant les droits superficiels de la petite oie. Elle se laissait volontiers baiser les pieds, la robe, les mains, le cou ; elle avouait son amour, elle acceptait les soins et la vie de son amant, elle lui permettait de mourir pour elle, elle s’abandonnait à une ivresse que cette demi-chasteté, sévère, souvent cruelle, allumait encore ; mais elle restait intraitable, et faisait, des plus hautes récompenses de l’amour, le prix de sa délivrance. En ce temps, pour dissoudre un mariage, il fallait aller à Rome ; avoir à sa dévotion quelques cardinaux, et paraître devant le souverain pontife, armé de la faveur du roi. Marie voulait tenir sa liberté de l’amour, pour la lui sacrifier. Presque toutes les femmes avaient alors assez de puissance pour établir au cœur d’un homme leur empire de manière à faire d’une passion l’histoire de toute une vie, le principe des plus hautes déterminations ! Mais aussi, les dames se comptaient en France, elles y étaient autant de souveraines, elles avaient de belles fiertés, les amants leur appartenaient plus qu’elles ne se donnaient à eux, souvent leur amour coûtait bien du sang, et pour être à elles il fallait courir bien des dangers. Mais, plus clémente et touchée du dévouement de son bien-aimé, la Marie du rêve se défendait mal contre le violent amour du beau gentilhomme. Laquelle était la véritable ? Le faux apprenti voyait-il en songe la