Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/426

Cette page n’a pas encore été corrigée

et sa femme furent alors poussés au dehors par la puissante pression de cette multitude. Le mari tâcha de passer le premier en tirant fortement la dame par le bras ; mais, en ce moment, il fut entraîné vigoureusement dans la rue, et sa femme lui fut arrachée par un étranger. Le terrible bossu comprit soudain qu’il était tombé dans une embûche préparée de longue main. Se repentant d’avoir dormi si longtemps, il rassembla toute sa force ; d’une main ressaisit sa femme par la manche de sa robe, et de l’autre essaya de se cramponner à la porte. Mais l’ardeur de l’amour l’emporta sur la rage de la jalousie. Le jeune gentilhomme prit sa maîtresse par la taille, l’enleva si rapidement et avec une telle force de désespoir, que l’étoffe de soie et d’or, le brocart et les baleines, se déchirèrent bruyamment. La manche resta seule au mari. Un rugissement de lion couvrit aussitôt les cris poussés par la multitude, et l’on entendit bientôt une voix terrible hurlant ces mots : -- A moi, Poitiers ! Au portail, les gens du comte de Saint-Vallier ! Au secours ! ici !

Et le comte Aymar de Poitiers, sire de Saint-Vallier, tenta de tirer son épée et de se faire faire place ; mais il se vit environné, pressé par trente ou quarante gentilshommes qu’il était dangereux de blesser. Plusieurs d’entre eux, qui étaient du plus haut rang, lui répondirent par des quolibets en l’entraînant dans le passage du cloître. Avec la rapidité de l’éclair, le ravisseur avait emmené la comtesse dans une chapelle ouverte où il l’assit derrière un confessionnal, sur un banc de bois. A la lueur des cierges qui brûlaient devant l’image du saint auquel cette chapelle était dédiée, ils se regardèrent un moment en silence, en se pressant les mains, étonnés l’un et l’autre de leur audace. La comtesse n’eut pas le cruel courage de reprocher au jeune homme la hardiesse à laquelle ils devaient ce périlleux, ce premier instant de bonheur.

— Voulez-vous fuir avec moi dans les États voisins ? lui dit vivement le gentilhomme. J’ai près d’ici deux genets d’Angleterre capables de faire trente lieues d’une seule traite.

— Eh ! s’écria-t-elle doucement, en quel lieu du monde trouverez-vous un asile pour une fille du roi Louis Onze ?

— C’est vrai, répondit le jeune homme stupéfait de n’avoir pas prévu cette difficulté.

— Pourquoi donc m’avez-vous arrachée à mon mari ? demanda-t-elle avec une sorte de terreur.