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de sa parole et de sa beauté. Vers la fin de l’opéra, Emilio fut donc seul avec la Cataneo ; tous deux ils se prirent la main, et entendirent ainsi le duo qui termine il Barbiere.

— Il n’y a que la musique pour exprimer l’amour, dit la duchesse émue par ce chant de deux rossignols heureux.

Une larme mouilla les yeux d’Emilio, Massimilla, sublime de la beauté qui reluit dans la sainte Cécile de Raphaël, lui pressait la main, leurs genoux se touchaient, elle avait comme un baiser en fleur sur les lèvres. Le prince voyait sur les joues éclatantes de sa maîtresse un flamboiement joyeux pareil à celui qui s’élève par un jour d’été au-dessus des moissons dorées, il avait le cœur oppressé par tout son sang qui y affluait ; il croyait entendre un concert de voix angéliques, il aurait donné sa vie pour ressentir le désir que lui avait inspiré la veille, à pareille heure, la détestée Clarina ; mais il ne se sentait même pas avoir un corps. Cette larme, la Massimilla malheureuse l’attribua, dans son innocence, à la parole que venait de lui arracher la cavatine de Genovese.

— Carino, dit-elle à l’oreille d’Emilio, n’es-tu pas au-dessus des expressions amoureuses autant que la cause est supérieure à l’effet ?

Après avoir mis la duchesse dans sa gondole, Emilio attendit Vendramin pour aller à Florian.

Le café Florian est à Venise une indéfinissable institution. Les négociants y font leurs affaires, et les avocats y donnent des rendez-vous pour y traiter leurs consultations les plus épineuses. Florian est tout à la fois une Bourse, un foyer de théâtre, un cabinet de lecture, un club, un confessionnal, et convient si bien à la simplicité des affaires du pays, que certaines femmes vénitiennes ignorent complétement le genre d’occupations de leurs maris, car s’ils ont une lettre à faire, ils vont l’écrire à ce café. Naturellement les espions abondent à Florian, mais leur présence aiguise le génie vénitien, qui peut dans ce lieu exercer cette prudence autrefois si célèbre. Beaucoup de personnes passent toute leur journée à Florian ; enfin Florian est un tel besoin pour certaines gens, que pendant les entr’actes, ils quittent la loge de leurs amies pour y faire un tour et savoir ce qui s’y dit.

Tant que les deux amis marchèrent dans les petites rues de la Merceria, ils gardèrent le silence, car il y avait trop de compagnie ; mais, en débouchant sur la place Saint-Marc, le prince dit : -- N’entrons pas encore au café, promenons-nous. J’ai à te parler.