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l’imagination d’y voir la première des ruines d’une grande ville asiatique. Nous fîmes quelques pas pour aller nous asseoir sur la portion d’une roche qui se trouvait encore ombrée ; mais il était onze heures du matin, et cette ombre, qui cessait à nos pieds, s’effaçait avec rapidité.

— Combien ce silence est beau, me dit-elle, et comme la profondeur en est étendue par le retour égal du frémissement de la mer sur cette plage !

— Si tu veux livrer ton entendement aux trois immensités qui nous entourent, l’eau, l’air et les sables, en écoutant exclusivement le son répété du flux et du reflux, lui répondis-je, tu n’en supporteras pas le langage, tu croiras y découvrir une pensée qui t’accablera. Hier, au coucher du soleil, j’ai eu cette sensation ; elle m’a brisé.

— Oh ! oui, parlons, dit-elle après une longue pause. Aucun orateur n’est plus terrible. Je crois découvrir les causes des harmonies qui nous environnent, reprit-elle. Ce paysage, qui n’a que trois couleurs tranchées, le jaune brillant des sables, l’azur du ciel et le vert uni de la mer, est grand sans être sauvage ; il est immense, sans être désert ; il est monotone, sans être fatigant ; il n’a que trois éléments, il est varié.

— Les femmes seules savent rendre ainsi leurs impressions, répondis-je, tu serais désespérante pour un poëte, chère âme que j’ai si bien devinée !

— L’excessive chaleur de midi jette à ces trois expressions de l’infini une couleur dévorante, reprit Pauline en riant. Je conçois ici les poésies et les passions de l’Orient.

— Et moi j’y conçois le désespoir.

— Oui, dit-elle, cette dune est un cloître sublime.

Nous entendîmes le pas pressé de notre guide ; il s’était endimanché. Nous lui adressâmes quelques paroles insignifiantes ; il crut voir que nos dispositions d’âme avaient changé ; et avec cette réserve que donne le malheur, il garda le silence. Quoique nous nous pressassions de temps en temps la main pour nous avertir de la mutualité de nos idées et de nos impressions, nous marchâmes pendant une demi-heure en silence, soit que nous fussions accablés par la chaleur qui s’élançait en ondées brillantes du milieu des sables, soit que la difficulté de la marche employât notre attention. Nous allions en nous tenant par la main, comme deux