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Vous avez fait une belle pêche ce matin, mon brave homme ? dis-je au pêcheur.

— Oui, monsieur, répondit-il en s’arrêtant et nous montrant la figure bistrée des gens qui restent pendant des heures entières exposés à la réverbération du soleil sur l’eau.

Ce visage annonçait une longue résignation ; la patience du pêcheur et ses mœurs douces. Cet homme avait une voix sans rudesse, des lèvres bonnes, nulle ambition, je ne sais quoi de grêle, de chétif. Toute autre physionomie nous aurait déplu.

— Où allez-vous vendre ça ?

— A la ville.

— Combien vous paiera-t-on le homard ?

— Quinze sous.

— L’araignée ?

— Vingt sous.

— Pourquoi tant de différence entre le homard et l’araignée ?

— Monsieur, l’araignée (il la nommait une iraigne) est bien plus délicate ! puis elle est maligne comme un singe, et se laisse rarement prendre.

— Voulez-vous nous donner le tout pour cent sous ? dit Pauline.

L’homme resta pétrifié.

— Vous ne l’aurez pas ! dis-je en riant, j’en donne dix francs. Il faut savoir payer les émotions ce qu’elles valent.

— Eh ! bien, répondit-elle, je l’aurai ! j’en donne dix francs deux sous.

— Dix sous.

— Douze francs.

— Quinze francs.

— Quinze francs cinquante centimes, dit-elle.

— Cent francs.

— Cent cinquante.

Je m’inclinai. Nous n’étions pas en ce moment assez riches pour pousser plus haut cette enchère. Notre pauvre pêcheur ne savait pas s’il devait se fâcher d’une mystification ou se livrer à la joie, nous le tirâmes de peine en lui donnant le nom de notre hôtesse et lui recommandant de porter chez elle le homard et l’araignée.

— Gagnez-vous votre vie ? lui demandai-je pour savoir à quelle cause devait être attribué son dénûment.—