Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/344

Cette page n’a pas encore été corrigée

cou et l’embrassant sur les paupières, si tu savais combien, donnée par toi, la mort me sera douce. Je n’aurai pas à subir l’odieux contact des mains d’un bourreau. Tu me guériras des maux qui m’attendaient, et… mon bon Juanito, tu ne me voulais voir à personne, eh bien…

Ses yeux veloutés jetèrent un regard de feu sur Victor, comme pour réveiller dans le cœur de Juanito son horreur des Français.

— Aie du courage, lui dit son frère Philippe, autrement notre race presque royale est éteinte.

Tout à coup Clara se leva, le groupe qui s’était formé autour de Juanito se sépara, et cet enfant, rebelle à bon droit, vit devant lui, debout, son vieux père, qui d’un ton solennel s’écria : -- Juanito, je te l’ordonne.

Le jeune comte restant immobile, son père tomba à ses genoux. Involontairement, Clara, Manuel et Philippe l’imitèrent. Tous tendirent les mains vers celui qui devait sauver la famille de l’oubli, et semblèrent répéter ces paroles paternelles : -- Mon fils, manquerais-tu d’énergie espagnole et de vraie sensibilité ? Veux-tu me laisser longtemps à genoux, et dois-tu considérer ta vie et tes souffrances ? Est-ce mon fils, madame ? ajouta le vieillard en se retournant vers la marquise.

— Il y consent ! s’écria la mère avec désespoir en voyant Juanito faire un mouvement des sourcils dont la signification n’était connue que d’elle.

Mariquita, la seconde fille, se tenait à genoux en serrant sa mère dans ses faibles bras ; et comme elle pleurait à chaudes larmes, son petit frère Manuel vint la gronder. En ce moment l’aumônier du château entra, il fut aussitôt entouré de toute la famille, on l’amena à Juanito. Victor, ne pouvant supporter plus longtemps cette scène, fit un signe à Clara, et se hâta d’aller tenter un dernier effort auprès du général. Il le trouva en belle humeur, au milieu du festin, et buvant avec ses officiers qui commençaient à tenir de joyeux propos.

Une heure après, cent des plus notables habitants de Menda vinrent sur la terrasse pour être, suivant les ordres du général, témoins de l’exécution de la famille Léganès. Un détachement de soldats fut placé pour contenir les Espagnols, que l’on rangea sous les potences auxquelles les domestiques du marquis avaient été pendus. Les têtes de ces bourgeois touchaient presque les