Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/335

Cette page n’a pas encore été corrigée

À l’aspect de l’accusateur public, la vieille servante, de rouge et joyeuse qu’elle était, devint immobile et blême.

— Qui est-ce, Brigitte ? demanda le magistrat d’un air doux et intelligent.

— Un réquisitionnaire que le maire nous envoie à loger, répondit la servante en montrant le billet.

— C’est vrai, dit l’accusateur après avoir lu le papier. Il nous arrive un bataillon ce soir !

Et il sortit.

La comtesse avait trop besoin de croire en ce moment à la sincérité de son ancien procureur pour concevoir le moindre doute ; elle monta rapidement l’escalier, ayant à peine la force de se soutenir ; puis, elle ouvrit la porte de sa chambre, vit son fils, se précipita dans ses bras, mourante : — Oh ! mon enfant, mon enfant ! s’écria-t-elle en sanglotant et le couvrant de baisers empreints d’une sorte de frénésie.

— Madame, dit l’inconnu.

— Ah ! ce n’est pas lui, cria-t-elle en reculant d’épouvante et restant debout devant le réquisitionnaire qu’elle contemplait d’un air hagard.

— Ô saint bon Dieu, quelle ressemblance ! dit Brigitte.

Il y eut un moment de silence, et l’étranger lui-même tressaillit à l’aspect de madame de Dey.

— Ah ! monsieur, dit-elle en s’appuyant sur le mari de Brigitte, et sentant alors dans toute son étendue une douleur dont la première atteinte avait failli la tuer ; monsieur, je ne saurais vous voir plus longtemps, souffrez que mes gens me remplacent et s’occupent de vous.

Elle descendit chez elle, à demi portée par Brigitte et son vieux serviteur.

— Comment, madame ! s’écria la femme de charge en asseyant sa maîtresse, cet homme va-t-il coucher dans le lit de monsieur Auguste, mettre les pantoufles de monsieur Auguste, manger le pâté que j’ai fait pour monsieur Auguste ! quand on devrait me guillotiner, je…

— Brigitte ! cria madame de Dey.

Brigitte resta muette.

— Tais-toi donc, bavarde, lui dit son mari à voix basse, veux-tu tuer madame ?