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nièce en Auvergne, où j’eus le malheur de le perdre. Il avait un peu d’empire sur madame de Vandières. Lui seul a pu obtenir d’elle qu’elle s’habillât. Adieu ! ce mot qui, pour elle, est toute la langue, elle le disait jadis rarement. Fleuriot avait entrepris de réveiller en elle quelques idées ; mais il a échoué, et n’a gagné que de lui faire prononcer un peu plus souvent cette triste parole. Le grenadier savait la distraire et l’occuper en jouant avec elle ; et par lui, j’espérais, mais…

L’oncle de Stéphanie se tut pendant un moment.

— Ici, reprit-il, elle a trouvé une autre créature avec laquelle elle parait s’entendre. C’est une paysanne idiote, qui, malgré sa laideur et sa stupidité, a aimé un maçon. Ce maçon a voulu l’épouser, parce qu’elle possède quelques quartiers de terre. La pauvre Geneviève a été pendant un an la plus heureuse créature qu’il y eût au monde. Elle se parait, et allait le dimanche danser avec Dallot ; elle comprenait l’amour ; il y avait place dans son cœur et dans son esprit pour un sentiment. Mais Dallot a fait des réflexions. Il a trouvé une jeune fille qui a son bon sens et deux quartiers de terre de plus que n’en a Geneviève. Dallot a donc laissé Geneviève. Cette pauvre créature a perdu le peu d’intelligence que l’amour avait développé en elle, et ne sait plus que garder les vaches ou faire de l’herbe. Ma nièce et cette pauvre fille sont en quelque sorte unies par la chaîne invisible de leur commune destinée, et par le sentiment qui cause leur folie. Tenez, voyez ? dit l’oncle de Stéphanie en conduisant le marquis d’Albon à la fenêtre.

Le magistrat aperçut en effet la jolie comtesse assise à terre entre les jambes de Geneviève. La paysanne, armée d’un énorme peigne d’os, mettait toute son attention à démêler la longue chevelure noire de Stéphanie, qui se laissait faire en jetant des cris étouffés dont l’accent trahissait un plaisir instinctivement ressenti. Monsieur d’Albon frissonna en voyant l’abandon du corps et la nonchalance animale qui trahissait chez la comtesse une complète absence de l’âme.

— Philippe ! Philippe ! s’écria-t-il, les malheurs passés ne sont rien. N’y a-t-il donc point d’espoir ? demanda-t-il.

Le vieux médecin leva les yeux au ciel.

— Adieu, monsieur, dit monsieur d’Albon en serrant la main du vieillard. Mon ami m’attend, vous ne tarderez pas à le voir.

— C’est donc bien elle, s’écria Sucy après avoir entendu les