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la rampe, en sorte que sa belle tête, doucement éclairée, se détachait bien sur le clair-obscur. La Florentine attirait le regard par son front volumineux d’un blanc de neige, et couronné de ses nattes de cheveux noirs qui lui donnaient un air vraiment royal, par la finesse calme de ses traits qui rappelaient la tendre noblesse des têtes d’Andrea del Sarto, par la coupe de son visage et l’encadrement des yeux, par ses yeux de velours qui communiquaient le ravissement de la femme rêvant au bonheur, pure encore dans l’amour, à la fois majestueuse et jolie.

Au lieu de Mosé par où devait débuter la Tinti en compagnie de Genovese, l’on donnait il Barbiere où le ténor chantait sans la célèbre prima donna. L’impressario s’était dit contraint à changer le spectacle par une indisposition de la Tinti, et en effet le duc Cataneo ne vint pas au théâtre. Etait-ce un habile calcul de l’impressario pour obtenir deux pleines recettes, en faisant débuter Genovese et la Clarina l’un après l’autre, ou l’indisposition annoncée par la Tinti était-elle vraie ? Là où le parterre pouvait discuter, Emilio devait avoir une certitude ; mais quoique la nouvelle de cette indisposition lui causât quelque remords en lui rappelant la beauté de la chanteuse et sa brutalité, cette double absence mit également à l’aise le prince et la duchesse. Genovese chanta d’ailleurs de manière à chasser les souvenirs nocturnes de l’amour impur et à prolonger les saintes délices de cette suave journée. Heureux d’être seul à recueillir les applaudissements, le ténor déploya les merveilles de ce talent devenu depuis européen. Genovese, alors âgé de vingt-trois ans, né à Bergame, élève de Veluti, passionné pour son art, bien fait, d’une agréable figure, habile à saisir l’esprit de ses rôles, annonçait déjà le grand artiste promis à la gloire et à la fortune. Il eut un succès fou, mot qui n’est juste qu’en Italie, où la reconnaissance d’un parterre a je ne sais quoi de frénétique pour qui lui donne une jouissance.

Quelques-uns des amis du prince vinrent le féliciter sur son héritage, et redire les nouvelles. La veille au soir, la Tinti, amenée par le duc Cataneo, avait chanté à la soirée de la Vulpato où elle avait paru aussi bien portante que belle en voix, sa maladie improvisée excitait donc de grands commentaires. Selon les bruits du café Florian, Genovese était passionnément épris de la Tinti ; la Tinti voulait se soustraire à ses déclarations d’amour, et l’entrepreneur n’avait pu les décider à paraître ensemble. A entendre le général