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longs regards échangés après de profondes réflexions. Chacun d’eux sondait sa propre tendresse et la trouvait infinie, sécurité qui leur suggérait de douces paroles. La Pudeur, cette divinité qui, dans un moment d’oubli avec l’Amour, enfanta la Coquetterie, n’aurait pas eu besoin de mettre la main sur ses yeux en voyant ces deux amants. Pour toute volupté, pour extrême plaisir, Massimilla tenait la tête d’Emilio sur son sein et se hasardait par moments à imprimer ses lèvres sur les siennes, mais comme un oiseau trempe son bec dans l’eau pure d’une source, en regardant avec timidité s’il est vu. Leur pensée développait ce baiser comme un musicien développe un thème par les modes infinis de la musique, et il produisait en eux des retentissements tumultueux, ondoyants, qui les enfiévraient. Certes, l’idée sera toujours plus violente que le fait ; autrement, le désir serait moins beau que le plaisir, et il est plus puissant, il l’engendre. Aussi étaient-ils pleinement heureux, car la jouissance du bonheur amoindrira toujours le bonheur. Mariés dans le ciel seulement, ces deux amants s’admiraient sous leur forme la plus pure, celle de deux âmes enflammées et conjointes dans la lumière céleste, spectacles radieux pour les yeux qu’a touchés la Foi, fertiles surtout en délices infinies que le pinceau des Raphaël, des Titien, des Murillo a su rendre, et que retrouvent à la vue de leurs compositions ceux qui les ont éprouvées. Les grossiers plaisirs prodigués par la Sicilienne, preuve matérielle de cette angélique union, ne doivent-ils pas être dédaignés par les esprits supérieurs ? Le prince se disait ces belles pensées en se trouvant abattu dans une langueur divine sur la fraîche, blanche et souple poitrine de Massimilla, sous les tièdes rayons de ses yeux à longs cils brillants, et il se perdait dans l’infini de ce libertinage idéal. En ces moments, Massimilla devenait une de ces vierges célestes entrevues dans les rêves, que le chant du coq fait disparaître, mais que vous reconnaissez au sein de leur sphère lumineuse dans quelques œuvres des glorieux peintres du ciel.

Le soir les deux amants se rendirent au théâtre. Ainsi va la vie italienne : le matin l’amour, le soir la musique, la nuit le sommeil. Combien cette existence est préférable à celle des pays où chacun emploie ses poumons et ses forces à politiquer, sans plus pouvoir changer à soi seul la marche des choses qu’un grain de sable ne peut faire la poussière. La liberté, dans ces singuliers pays,