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avance, à la manière des sensitives. La jeune solitaire, devenue si promptement femme, comprit que si elle essayait de contraindre le monde à honorer son mari, ce serait mendier à l’espagnole, une escopette en main. Puis, la fréquence et la multiplicité des précautions qu’elle devait prendre n’en accuseraient-elles pas toute la nécessité ? Entre ne pas se faire respecter et se faire trop respecter, il y avait pour Diard tout un abîme. Soudain elle devina le monde comme naguère elle avait deviné la vie, et elle n’apercevait partout pour elle que l’immense étendue d’une infortune irréparable. Puis, elle eut encore le chagrin de reconnaître tardivement l’incapacité particulière de son mari, l’homme le moins propre à ce qui demandait de la suite dans les idées. Il ne comprenait rien au rôle qu’il devait jouer dans le monde, il n’en saisissait ni l’ensemble, ni les nuances, et les nuances y étaient tout. Ne se trouvait-il pas dans une de ces situations où la finesse peut aisément remplacer la force ? Mais la finesse qui réussit toujours est peut-être la plus grande de toutes les forces.

Or, loin d’étancher la tache d’huile faite par ses antécédents, Diard se donna mille peines pour l’étendre. Ainsi, ne sachant pas bien étudier la phase de l’empire au milieu de laquelle il arrivait, il voulut, quoiqu’il ne fût que chef d’escadron, être nommé préfet. Alors presque tout le monde croyait au génie de Napoléon, sa faveur avait tout agrandi. Les préfectures, ces empires au petit pied, ne pouvaient plus être chaussées que par de grands noms, par des chambellans de S. M. l’empereur et roi. Déjà les préfets étaient devenus des vizirs. Donc, les faiseurs du grand homme se moquèrent de l’ambition avouée par le chef d’escadron, et Diard se mit à solliciter une sous-préfecture. Il y eut un désaccord ridicule entre la modestie de ses prétentions et la grandeur de sa fortune. Ouvrir des salons royaux, afficher un luxe insolent, puis quitter la vie millionnaire pour aller à Issoudun ou à Savenay, n’était-ce pas se mettre au-dessous de sa position ? Juana, trop tard instruite de nos lois, de nos mœurs, de nos coutumes administratives, éclaira donc trop tard son mari. Diard, désespéré, sollicita successivement auprès de tous les pouvoirs ministériels ; Diard, repoussé partout, ne put rien être, et alors le monde le jugea comme il était jugé par le gouvernement et comme il se jugeait lui-même. Diard avait été grièvement blessé sur un champ de bataille, et Diard n’était pas décoré. Le quartier-maître, riche, mais sans considération,