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monde de cette époque, parce que, à cette époque, chacun voulait s’élever. Les classifications sociales toutes faites sont peut-être un grand bien, même pour le peuple. Napoléon nous a confié les peines qu’il se donna pour imposer le respect à sa cour, où la plupart de ses sujets avaient été ses égaux. Mais Napoléon était Corse, et Diard Provençal. À génie égal, un insulaire sera toujours plus complet que ne l’est l’homme de la terre ferme, et sous la même latitude, le bras de mer qui sépare la Corse de la Provence est, en dépit de la science humaine, un océan tout entier qui en fait deux patries.

De sa position fausse, qu’il faussa encore, dérivèrent pour Diard de grands malheurs. Peut-être y a-t-il des enseignements utiles dans la filiation imperceptible des faits qui engendrèrent le dénoûment de cette histoire. D’abord, les railleurs de Paris ne voyaient pas, sans un malin sourire, les tableaux avec lesquels l’ancien quartier-maître décora son hôtel. Les chefs-d’œuvre achetés la veille furent enveloppés dans le reproche muet que chacun adressait à ceux qui avaient été pris en Espagne, et ce reproche était la vengeance des amours-propres que la fortune de Diard offensait. Juana comprit quelques-uns de ces mots à double sens auxquels le Français excelle. Alors, par son conseil, son mari renvoya les tableaux à Tarragone. Mais le public, décidé à mal prendre les choses, dit : — Ce Diard est fin, il a vendu ses tableaux. De bonnes gens continuèrent à croire que les toiles qui restèrent dans ses salons n’étaient pas loyalement acquises. Quelques femmes jalouses demandaient comment un Diard avait pu épouser une jeune fille et si riche et si belle. De là, des commentaires, des railleries sans fin, comme on sait les faire à Paris. Cependant Juana rencontrait partout un respect commandé par sa vie pure et religieuse qui triomphait de tout, même des calomnies parisiennes ; mais ce respect s’arrêtait à elle, et manquait à son mari. Sa perspicacité féminine et son regard brillant, en planant dans ses salons, ne lui apportaient que des douleurs.

Cette mésestime était encore une chose toute naturelle. Les militaires, malgré les vertus que l’imagination leur accorde, ne pardonnèrent pas à l’ancien quartier-maître du 6e de ligne, précisément parce qu’il était riche et voulait faire figure à Paris. Or, à Paris, de la dernière maison du faubourg Saint-Germain au dernier hôtel de la rue Saint-Lazare, entre la butte du Luxem-