Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/257

Cette page n’a pas encore été corrigée

riées. De cette vie, un homme n’en peut raconter que les faits, les cœurs féminins seuls en devineront les sentiments. N’est-ce pas une histoire impossible à retracer dans toute sa vérité ? Juana, luttant à toute heure contre sa nature à la fois espagnole et italienne, ayant tari la source de ses larmes à pleurer en secret, était une de ces créations typiques, destinées à représenter le malheur féminin dans sa plus vaste expression : douleur incessamment active, et dont la peinture exigerait des observations si minutieuses que, pour les gens avides d’émotions dramatiques, elle deviendrait insipide. Cette analyse, où chaque épouse devrait retrouver quelques-unes de ses propres souffrances, pour les comprendre toutes, ne serait-elle pas un livre entier ? Livre ingrat de sa nature, et dont le mérite consisterait en teintes fines, en nuances délicates que les critiques trouveraient molles et diffuses. D’ailleurs, qui pourrait aborder, sans porter un autre cœur en son cœur, ces touchantes et profondes élégies que certaines femmes emportent dans la tombe : mélancolies incomprises, même de ceux qui les excitent ; soupirs inexaucés, dévouements sans récompenses, terrestres du moins ; magnifiques silences méconnus ; vengeances dédaignées ; générosités perpétuelles et perdues ; plaisirs souhaités et trahis ; charités d’ange accomplies mystérieusement ; enfin toutes ses religions et son inextinguible amour ? Juana connut cette vie, et le sort ne lui fit grâce de rien. Elle fut toute la femme, mais la femme malheureuse et souffrante, la femme sans cesse offensée et pardonnant toujours, la femme pure comme un diamant sans tache ; elle qui, de ce diamant, avait la beauté, l’éclat ; et, dans cette beauté, dans cet éclat, une vengeance toute prête. Elle n’était certes pas fille à redouter le poignard ajouté à sa dot.

Cependant, animé par un amour vrai, par une de ces passions qui changent momentanément les plus détestables caractères et mettent en lumière tout ce qu’il y a de beau dans une âme, Diard sut d’abord se comporter en homme d’honneur. Il força Montefiore à quitter le régiment, et même le corps d’armée, afin que sa femme ne le rencontrât point pendant le peu de temps qu’il comptait rester en Espagne. Puis, le quartier-maître demanda son changement, et réussit à passer dans la Garde impériale. Il voulait à tout prix acquérir un titre, des honneurs et une considération en rapport avec sa grande fortune. Dans cette pensée, il se montra courageux à l’un de nos plus sanglants combats en Allemagne ; mais il y fut