Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/256

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Sa mère l’a donnée, reprit Perez.

— En un moment, et sans la consulter, s’écria dona Lagounia.

— Elle a bien su ce qu’elle faisait.

— En quelles mains ira notre perle !

— N’ajoute pas un mot, ou je cherche querelle à ce… Diard. Et, ce serait un autre malheur.

En entendant ces terribles paroles, Juana comprit alors le bonheur dont le cours avait été troublé par sa faute. Les heures pures et candides de sa douce retraite auraient donc été récompensées par cette éclatante et splendide existence dont elle avait si souvent rêvé les délices, rêves qui avaient causé sa ruine. Tomber du haut de la Grandesse à monsieur Diard ! Juana pleura, Juana devint presque folle. Elle flotta pendant quelques instants entre le vice et la religion. Le vice était un prompt dénoûment ; la religion, une vie entière de souffrances. La méditation fut orageuse et solennelle. Le lendemain était un jour fatal, celui du mariage. Juana pouvait encore rester Juana. Libre, elle savait jusqu’où irait son malheur ; mariée, elle ignorait jusqu’où il devait aller. La religion triompha. Dona Lagounia vint près de sa fille prier et veiller aussi pieusement qu’elle eût prié, veillé près d’une mourante.

— Dieu le veut, dit-elle à Juana.

La nature donne alternativement à la femme une force particulière qui l’aide à souffrir, et une faiblesse qui lui conseille la résignation. Juana se résigna sans arrière-pensée. Elle voulut obéir au vœu de sa mère et traverser le désert de la vie pour arriver au ciel, tout en sachant qu’elle ne trouverait point de fleurs dans son pénible voyage. Elle épousa Diard. Quant au quartier-maître, s’il ne trouvait pas grâce devant Juana, qui ne l’aurait absous ? il aimait avec ivresse. La Marana, si naturellement habile à pressentir l’amour, avait reconnu en lui l’accent de la passion, et deviné le caractère brusque, les mouvements généreux, particuliers aux méridionaux. Dans le paroxysme de sa grande colère, elle n’avait aperçu que les belles qualités de Diard, et crut en voir assez pour que le bonheur de sa fille fût à jamais assuré.

Les premiers jours de ce mariage furent heureux en apparence ; ou, pour exprimer l’un de ces faits latents dont toutes les misères sont ensevelies par les femmes au fond de leur âme, Juana ne voulut point détrôner la joie de son mari. Double rôle, épouvantable à jouer, et que jouent, tôt ou tard, la plupart des femmes mal ma-