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sainte et belle créature, mais presque toujours incomprise ; et presque toujours mal jugée, parce qu’elle est incomprise. Si Juana eût aimé Diard, elle l’eût estimé. L’amour crée dans la femme une femme nouvelle ; celle de la veille n’existe plus le lendemain. En revêtant la robe nuptiale d’une passion où il y va de toute la vie, une femme la revêt pure et blanche. Renaissant vertueuse et pudique, il n’y a plus de passé pour elle ; elle est tout avenir et doit tout oublier, pour tout réapprendre. En ce sens, le vers assez célèbre qu’un poète moderne a mis aux lèvres de Marion Delorme était trempé dans le vrai, vers tout cornélien d’ailleurs.

Et l’amour m’a refait une virginité.

Ce vers ne semblait-il pas une réminiscence de quelque tragédie de Corneille, tant y revivait la facture substantivement énergique du père de notre théâtre ? Et cependant le poète a été forcé d’en faire le sacrifice au génie essentiellement vaudevilliste du parterre.

Donc Juana, sans amour, restait la Juana trompée, humiliée, dégradée. Juana ne pouvait pas honorer l’homme qui l’acceptait ainsi. Elle sentait, dans toute la consciencieuse pureté du jeune âge, cette distinction, subtile en apparence, mais d’une vérité sacrée, légale selon le cœur, et que les femmes appliquent instinctivement dans tous leurs sentiments, même les plus irréfléchis. Juana devint profondément triste en découvrant l’étendue de la vie. Elle tourna souvent ses yeux pleins de larmes, fièrement réprimées, et sur Perez et sur dona Lagounia, qui, tous deux, comprenaient les amères pensées contenues dans ces larmes ; mais ils se taisaient. À quoi bon les reproches ? Pourquoi des consolations ? Plus vives elles sont, plus elles élargissent le malheur.

Un soir, Juana, stupide de douleur, entendit, à travers la portière de sa cellule, que les deux époux croyaient fermée, une plainte échappée à sa mère adoptive.

— La pauvre enfant mourra de chagrin.

— Oui, répliqua Perez d’une voir émue. Mais que pouvons-nous ? Irais-je maintenant vanter la chaste beauté de ma pupille au comte d’Arcos, à qui j’espérais la marier ?

— Une faute n’est pas le vice, dit la vieille femme, indulgente autant que pouvait l’être un ange.