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donc pas recourir aux bruits significativement faits d’un plancher à l’autre, langage tout artificiel que les amants savent créer en semblable occasion. Mais le hasard vint à son secours, ou la jeune fille peut-être ! Au moment où il se mit à sa croisée, il vit, sur la noire muraille de la cour, une zone du lumière au centre de laquelle se dessinait la silhouette de Juana ; les mouvements répétés du bras, l’attitude, tout faisait deviner qu’elle se coiffait de nuit.

— Est-elle seule ? se demanda Montefiore. Puis-je mettre sans danger au bout d’un fil une lettre chargée de quelques pièces de monnaie et en frapper la vitre ronde de l’œil-de-bœuf par lequel sa cellule est sans doute éclairée ?

Aussitôt il écrivit un billet, le vrai billet de l’officier, du soldat déporté par sa famille à l’île d’Elbe, le billet du marquis déchu, jadis musqué, maintenant capitaine d’habillement. Puis il fit une corde avec tout ce qui fut ingrédient de cordage, y attacha le billet chargé de quelques écus, et le descendit dans le plus profond silence jusqu’au milieu de cette lueur sphérique.

— Les ombres, en se projetant, me diront si sa mère ou sa servante sont avec elle, et si elle n’est pas seule, pensa Montefiore, je remonterai vivement ma corde.

Mais quand, après mille peines faciles à comprendre, l’argent frappa la vitre, une seule figure, le svelte buste de Juana s’agita sur la muraille. La jeune fille ouvrit le carreau bien doucement, vit le billet, le prit et resta debout en le lisant. Montefiore s’était nommé, demandait un rendez-vous ; il offrait, en style de vieux roman, son cœur et sa main à Juana de Mancini. Ruse infâme et vulgaire, mais dont le succès sera toujours certain ! À l’âge de Juana, la noblesse de l’âme n’augmente-t-elle pas les dangers de l’âge ? Un poëte de ce temps a dit gracieusement : La femme ne succombe que dans sa force. L’amant feint de douter de l’amour qu’il inspire au moment où il est le plus aimé ; confiante et fière, une jeune fille voudrait inventer des sacrifices à faire, et ne connaît ni le monde ni les hommes assez pour rester calme au sein de ses passions soulevées, et accabler de son mépris l’homme qui peut accepter une vie offerte en expiation d’un reproche fallacieux.

Depuis la sublime constitution des sociétés, la jeune fille se trouve entre les horribles déchirements que lui causent et les calculs d’une vertu prudente et les malheurs d’une faute. Elle perd souvent un amour, le plus délicieux en apparence, le premier, si