Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/16

Cette page n’a pas encore été corrigée

ivresse. Il ôta lui-même la couverture, apprêta le lit, se déshabilla dans un très joli cabinet de toilette, et se coucha pour réfléchir à sa destinée.

— J’ai oublié ce pauvre Carmagnola, mais mon cuisinier et mon sommelier y pourvoiront.

En ce moment, une femme de chambre entra folâtrement en chantonnant un air du Barbier de Séville. Elle jeta sur une chaise des vêtements de femme, toute une toilette de nuit, en se disant : -- Les voici qui rentrent !

Quelques instants après vint en effet une jeune femme habillée à la française, et qui pouvait être prise pour l’original de quelque fantastique gravure anglaise inventée pour un Forget me not, une Belle assemblée, ou pour un Book of Beauty. Le prince frissonna de peur et de plaisir, car il aimait Massimilla, comme vous savez. Or, malgré cette foi d’amour qui l’embrasait, et qui jadis inspira des tableaux à l’Espagne, des madones à l’Italie, des statues à Michel-Ange, les portes du Baptistère à Ghiberti, la Volupté l’enserrait de ses rets, et le désir l’agitait sans répandre en son cœur cette chaude essence éthérée que lui infusait un regard ou la moindre parole de la Cataneo. Son âme, son cœur, sa raison, toutes ses volontés se refusaient à l’Infidélité ; mais la brutale et capricieuse Infidélité dominait son âme. Cette femme ne vint pas seule.

Le prince aperçut un de ces personnages à qui personne ne veut croire dès qu’on les fait passer de l’état réel où nous les admirons, à l’état fantastique d’une description plus ou moins littéraire. Comme celui des Napolitains, l’habillement de l’inconnu comportait cinq couleurs, si l’on veut admettre le noir du chapeau comme une couleur : le pantalon était olive, le gilet rouge étincelait de boutons dorés, l’habit tirait au vert et le linge arrivait au jaune. Cet homme semblait avoir pris à tâche de justifier le Napolitain que Gerolamo met toujours en scène sur son théâtre de marionnettes. Les yeux semblaient être de verre. Le nez en as de trèfle saillait horriblement. Le nez couvrait d’ailleurs avec pudeur un trou qu’il serait injurieux pour l’homme de nommer une bouche, et où se montraient trois ou quatre défenses blanches douées de mouvement, qui se plaçaient d’elles-mêmes les unes entre les autres. Les oreilles fléchissaient sous leur propre poids, et donnaient à cet homme une bizarre ressemblance avec un chien. Le teint, soupçonné de contenir plusieurs métaux infusés dans le