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au perron comme des abeilles à l’entrée d’une ruche. Emilio se glissa sous l’immense péristyle où se développait le plus bel escalier de Venise et le franchit lestement pour connaître la cause de cette singulière aventure Tout un monde d’ouvriers se hâtait d’achever l’ameublement et la décoration du palais. Le premier étage, digne de l’ancienne splendeur de Venise, offrait à ses regards les belles choses qu’Emilio rêvait un moment auparavant, et la fée les avait disposées dans le meilleur goût. Une splendeur digne des palais d’un roi parvenu éclatait jusque dans les plus minces détails. Emilio se promenait sans que personne lui fît la moindre observation, et il marchait de surprise en surprise. Curieux de voir ce qui se passait au second étage, il monta, et trouva l’ameublement fini. Les inconnus chargés par l’enchanteur de renouveler les prodiges de Mille et une Nuits en faveur d’un pauvre prince italien, remplaçaient quelques meubles mesquins apportés dans les premiers moments. Le prince Emilio arriva dans la chambre à coucher de l’appartement, qui lui sourit comme une conque d’où Vénus serait sortie. Cette chambre était si délicieusement belle, si bien pomponnée, si coquette, pleine de recherches si gracieuses, qu’il s’alla plonger dans une bergère de bois doré devant laquelle on avait servi le souper froid le plus friand ; et, sans autre forme de procès, il se mit à manger.

— Je ne vois dans le monde entier que Massimilla qui puisse avoir eu l’idée de cette fête. Elle a su que j’étais prince, le duc de Cataneo est peut-être mort en lui laissant ses biens, la voilà deux fois plus riche, elle m’épousera, et… Et il mangeait à se faire haïr d’un millionnaire malade qui l’aurait vu dévorant ce souper, et il buvait à torrents un excellent vin de Porto. -- Maintenant je m’explique le petit air entendu qu’elle a pris en me disant : A ce soir ! Elle va venir peut-être me désensorceler. Quel beau lit, et dans ce lit, quelle jolie lanterne !… Bah ! une idée de Florentine.

Il se rencontre quelques riches organisations sur lesquelles le bonheur ou le malheur extrême produit un effet soporifique. Or, sur un jeune homme assez puissant pour idéaliser une maîtresse au point de ne plus y voir de femme, l’arrivée trop subite de la fortune devait faire l’effet d’une dose d’opium. Quand le prince eut bu la bouteille de vin de Porto, mangé la moitié d’un poisson et quelques fragments d’un pâté français, il éprouva le plus violent désir de se coucher, Peut-être était-il sous le coup d’une double