Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/117

Cette page n’a pas encore été corrigée


dit Andrea en arrivant chez lui. Le sujet de Robert-le-Diable est loin sans doute d’être dénué d’intérêt, Holtei l’a développé avec un rare bonheur dans un drame très-bien écrit et rempli de situations fortes et attachantes ; mais les auteurs français ont trouvé le moyen d’y puiser la fable la plus ridicule du monde. Jamais l’absurdité des libretti de Vesari, de Schikaneder, n’égala celle du poëme de Robert-le-Diable, vrai cauchemar dramatique qui oppresse les spectateurs sans faire naître d’émotions fortes. Meyerbeer a fait au diable une trop belle part. Bertram et Alice représentent la lutte du bien et du mal, le bon et le mauvais principe. Cet antagonisme offrait le contraste le plus heureux au compositeur. Les mélodies les plus suaves placées à côté de chants âpres et durs, étaient une conséquence naturelle de la forme du libretto, mais dans la partition de l’auteur allemand les démons chantent mieux que les saints. Les inspirations célestes démentent souvent leur origine, et si le compositeur quitte pendant un instant les formes infernales, il se hâte d’y revenir, bientôt fatigué de l’effort qu’il a fait pour les abandonner. La mélodie, ce fil d’or qui ne doit jamais se rompre dans une composition si vaste, disparaît souvent dans l’œuvre de Meyerbeer. Le sentiment n’y est pour rien, le cœur n’y joue aucun rôle ; aussi ne rencontre-t-on jamais de ces motifs heureux, de ces chants naïfs qui ébranlent toutes les sympathies et laissent au fond de l’âme une douce impression. L’harmonie règne souverainement, au lieu d’être le fond sur lequel doivent se détacher les groupes du tableau musical. Ces accords dissonants, loin d’émouvoir l’auditeur, n’excitent dans son âme qu’un sentiment analogue à celui que l’on éprouverait à la vue d’un saltimbanque suspendu sur un fil, et se balançant entre la vie et la mort. Des chants gracieux ne viennent jamais calmer ces crispations fatigantes. On dirait que le compositeur n’a eu d’autre but que de se montrer bizarre, fantastique ; il saisit avec empressement l’occasion de produire un effet baroque, sans s’inquiéter de la vérité, de l’unité musicale, ni de l’incapacité des voix écrasées sous ce déchaînement instrumental.

— Taisez-vous, mon ami, dit Gambara, je suis encore sous le charme de cet admirable chant des enfers que les porte-voix rendent encore plus terrible, instrumentation neuve ! Les cadences rompues qui donnent tant d’énergie au chant de Robert, la cavatine du quatrième acte, le finale du premier, me tiennent encore