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— Qui a pu vous dicter de pareils chants ? demanda le comte.

— L’esprit, répondit Gambara ; quand il apparaît, tout me semble en feu. Je vois les mélodies face à face, belles et fraîches, colorées comme des fleurs ; elles rayonnent, elles retentissent, et j’écoute, mais il faut un temps infini pour les reproduire.

— Encore ! dit Marianna.

Gambara, qui n’éprouvait aucune fatigue, joua sans efforts ni grimaces. Il exécuta son ouverture avec un si grand talent et découvrit des richesses musicales si nouvelles, que le comte ébloui finit par croire à une magie semblable à celle que déploient Paganini et Listz, exécution qui, certes, change toutes les conditions de la musique en en faisant une poésie au-dessus des créations musicales.

— Eh ! bien, Votre Excellence le guérira-t-elle ? demanda le cuisinier quand Andrea descendit.

— Je le saurai bientôt, répondit le comte. L’intelligence de cet homme a deux fenêtres, l’une fermée sur le monde, l’autre ouverte sur le ciel : la première est la musique, la seconde est la poésie ; jusqu’à ce jour il s’est obstiné à rester devant la fenêtre bouchée, il faut le conduire à l’autre. Vous le premier m’avez mis sur la voie, Giardini, en me disant que votre hôte raisonne plus juste dès qu’il a bu quelques verres de vin.

— Oui, s’écria le cuisinier, et je devine le plan de Votre Excellence.

— S’il est encore temps de faire tonner la poésie à ses oreilles, au milieu des accords d’une belle musique, il faut le mettre en état d’entendre et de juger. Or, l’ivresse peut seule venir à mon secours. M’aiderez-vous à griser Gambara, mon cher ? cela ne vous fera-t-il pas de mal à vous-même ?

— Comment l’entend Votre Excellence ?

Andrea s’en alla sans répondre, mais en riant de la perspicacité qui restait à ce fou. Le lendemain, il vint chercher Marianna, qui avait passé la matinée à se composer une toilette simple mais convenable, et qui avait dévoré toutes ses économies. Ce changement eût dissipé l’illusion d’un homme blasé, mais chez le comte, le caprice était devenu passion. Dépouillée de sa poétique misère et transformée en simple bourgeoise, Marianna le fit rêver au mariage, il lui donna la main pour monter dans un fiacre et lui fit part de son projet. Elle approuva tout, heureuse de trouver son amant en-