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drea, ma chère Marianna a commencé à vivre seulement du jour où elle a vu pour la première fois Paolo Gambara, il lui fallait une passion profonde à savourer, il lui fallait surtout quelque intéressante faiblesse à protéger, à soutenir. La belle organisation de femme dont elle est douée appelle peut-être moins encore l’amour que la maternité. Vous soupirez, Marianna ? J’ai touché à l’une des plaies vives de votre cœur. C’était un beau rôle à prendre pour vous, si jeune, que celui de protectrice d’une belle intelligence égarée. Vous vous disiez : Paolo sera mon génie, moi je serai sa raison, à nous deux nous ferons cet être presque divin qu’on appelle un ange, cette sublime créature qui jouit et comprend, sans que la sagesse étouffe l’amour. Puis, dans le premier élan de la jeunesse, vous avez entendu ces mille voix de la nature que le poëte voulait reproduire. L’enthousiasme vous saisissait quand Paolo étalait devant vous ces trésors de poésie en en cherchant la formule dans le langage sublime mais borné de la musique, et vous l’admiriez pendant qu’une exaltation délirante l’emportait loin de vous, car vous aimiez à croire que toute cette énergie déviée serait enfin ramenée à l’amour. Vous ignoriez l’empire tyrannique et jaloux que la Pensée exerce sur les cerveaux qui s’éprennent d’amour pour elle. Gambara s’était donné, avant de vous connaître, à l’orgueilleuse et vindicative maîtresse à qui vous l’avez disputé en vain jusqu’à ce jour. Un seul instant vous avez entrevu le bonheur. Retombé des hauteurs où son esprit planait sans cesse, Paolo s’étonna de trouver la réalité si douce, vous avez pu croire que sa folie s’endormirait dans les bras de l’amour. Mais bientôt la musique reprit sa proie. Le mirage éblouissant qui vous avait tout à coup transportée au milieu des délices d’une passion partagée rendit plus morne et plus aride la voie solitaire où vous vous étiez engagée. Dans le récit que votre mari vient de nous faire, comme dans le contraste frappant de vos traits et des siens, j’ai entrevu les secrètes angoisses de votre vie, les douloureux mystères de cette union mal assortie dans laquelle vous avez pris le lot des souffrances. Si votre conduite fut toujours héroïque, si votre énergie ne se démentit pas une fois dans l’exercice de vos devoirs pénibles, peut-être dans le silence de vos nuits solitaires, ce cœur dont les battements soulèvent en ce moment votre poitrine murmura-t-il plus d’une fois ! Votre plus cruel supplice fut la grandeur même de votre mari : moins noble, moins pur, vous eussiez pu l’abandonner ; mais ses vertus