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avec respect, qu’il suivît ses moindres mouvements avec une sorte de tendresse, il avait soin du savant comme une mère a soin d’un enfant ; souvent il pouvait avoir l’air de le protéger, parce qu’il le protégeait véritablement dans les vulgaires nécessités de la vie auxquelles Balthazar ne pensait jamais. Ces deux vieillards enveloppés par une idée, confiants dans la réalité de leur espoir, agités par le même souffle, l’un représentant l’enveloppe et l’autre l’âme de leur existence commune, formaient un spectacle à la fois horrible et attendrissant. Lorsque Marguerite et M. Conyncks arrivèrent, ils trouvèrent Claës établi dans une auberge, son successeur ne s’était pas fait attendre et avait déjà pris possession de la place.

À travers les préoccupations de la Science, un désir de revoir sa patrie, sa maison, sa famille agitait Balthazar ; la lettre de sa fille lui avait annoncé des événements heureux, il songeait à couronner sa carrière par une série d’expériences qui devait le mener enfin à la découverte de son problème, il attendait donc Marguerite avec une excessive impatience. La fille se jeta dans les bras de son père en pleurant de joie. Cette fois, elle venait chercher la récompense d’une vie douloureuse, et le pardon de sa gloire domestique. Elle se sentait criminelle à la manière des grands hommes qui violent les libertés pour sauver la patrie. Mais en contemplant son père, elle frémit en reconnaissant les changements qui, depuis sa dernière visite, s’étaient opérés en lui. Conyncks partagea le secret effroi de sa nièce, et insista pour emmener au plus tôt son cousin à Douai où l’influence de la patrie pouvait le rendre à la raison, à la santé, en le rendant à la vie heureuse du foyer domestique. Après les premières effusions de cœur qui furent plus vives de la part de Balthazar que Marguerite ne le croyait, il eut pour elle des attentions singulières, il témoigna le regret de la recevoir dans une mauvaise chambre d’auberge, il s’informa de ses goûts, il lui demanda ce qu’elle voulait pour ses repas avec les soins empressés d’un amant ; il eut enfin les manières d’un coupable qui veut s’assurer de son juge. Marguerite connaissait si bien son père qu’elle devina le motif de cette tendresse, en supposant qu’il pouvait avoir en ville quelques dettes desquelles il voulait s’acquitter avant son départ. Elle observa pendant quelque temps son père, et vit alors le cœur humain à nu. Balthazar s’était rapetissé. Le sentiment de son abaissement, l’isolement dans lequel