Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/465

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui m’opposerais à ton bonheur si tu veux le trouver dans une condition médiocre ?… » Félicie laissa échapper ces mots : « Chère sœur !

— Oh ! oui, tu peux te confier à moi, s’écria Marguerite. Quoi de plus naturel que de nous dire nos secrets. »

Ce mot plein d’âme détermina l’une de ces causeries délicieuses où les jeunes filles se disent tout. Quand Marguerite, que l’amour avait faite experte, eut reconnu l’état du cœur de Félicie, elle finit en lui disant : « Hé bien, ma chère enfant, assurons-nous que le cousin t’aime véritablement ; et… alors…

— Laisse-moi faire, répondit Félicie en riant, j’ai mes modèles.

— Folle ! » dit Marguerite en la baisant au front.

Quoique Pierquin appartînt à cette classe d’hommes qui dans le mariage voient des obligations, l’exécution des lois sociales et un mode pour la transmission des propriétés ; qu’il lui fût indifférent d’épouser ou Félicie ou Marguerite, si l’une ou l’autre avaient le même nom et la même dot ; il s’aperçut néanmoins que toutes deux étaient, suivant une de ses expressions, des filles romanesques et sentimentales, deux adjectifs que les gens sans cœur emploient pour se moquer des dons que la nature sème d’une main parcimonieuse à travers les sillons de l’humanité, le notaire se dit sans doute qu’il fallait hurler avec les loups ; et, le lendemain, il vint voir Marguerite, il l’emmena mystérieusement dans le petit jardin, et se mit à parler sentiment, puisque c’était une des clauses du contrat primitif qui devait précéder, dans les lois du monde, le contrat notarié.

« Chère cousine, lui dit-il, nous n’avons pas toujours été du même avis sur les moyens à prendre pour arriver à la conclusion heureuse de vos affaires ; mais vous devez reconnaître aujourd’hui que j’ai toujours été guidé par un grand désir de vous être utile. Hé bien, hier j’ai gâté mes offres par une fatale habitude que nous donne l’esprit notaire, comprenez-vous ?… Mon cœur n’était pas complice de ma sottise. Je vous ai bien aimée ; mais nous avons une certaine perspicacité, nous autres, et je me suis aperçu que je ne vous plaisais pas. C’est ma faute ! Un autre a été plus adroit que moi. Hé bien, je viens vous avouer tout bonifacement que j’éprouve un amour réel pour votre sœur Félicie. Traitez-moi donc comme un frère ! puisez dans ma bourse, prenez à même ! Allez, plus vous prendrez, plus vous me prouverez d’amitié.