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enfant ? En était-il venu à moins l’aimer parce qu’elle allait être le père, et lui l’enfant ? Peut-être y avait-il beaucoup de ces raisons et beaucoup de ces sentiments inexprimables qui passent comme des nuages en l’âme, dans la disgrâce muette qu’il faisait peser sur Marguerite. Quelque grands que puissent être les grands hommes connus ou inconnus, heureux ou malheureux dans leurs tentatives, ils ont des petitesses par lesquelles ils tiennent à l’humanité. Par un double malheur, ils ne souffrent pas moins de leurs qualités que de leurs défauts ; et peut-être Balthazar avait-il à se familiariser avec les douleurs de ses vanités blessées. La vie qu’il menait, et les soirées pendant lesquelles ces quatre personnes se trouvèrent réunies en l’absence de Marguerite furent donc une vie et des soirées empreintes de tristesse, remplies d’appréhensions vagues. Ce fut des jours infertiles comme des landes desséchées, où néanmoins ils glanaient quelques fleurs, rares consolations. L’atmosphère leur semblait brumeuse en l’absence de la fille aînée, devenue l’âme, l’espoir et la force de cette famille. Deux mois se passèrent ainsi, pendant lesquels Balthazar attendit patiemment sa fille. Marguerite fut ramenée à Douai par son oncle, qui resta au logis au lieu de retourner à Cambrai, sans doute pour y appuyer de son autorité quelque coup d’état médité par sa nièce.

Ce fut une petite fête de famille que le retour de Marguerite. Le notaire et M. de Solis avaient été invités à dîner par Félicie et par Balthazar. Quand la voiture de voyage s’arrêta devant la porte de la maison, ces quatre personnes vinrent y recevoir les voyageurs avec de grandes démonstrations de joie. Marguerite parut heureuse de revoir les foyers paternels, ses yeux s’emplirent de larmes quand elle traversa la cour pour arriver au parloir. En embrassant son père, ses caresses de jeune fille ne furent pas néanmoins sans arrière-pensée, elle rougissait comme une épouse coupable qui ne sait pas feindre ; mais ses regards reprirent leur pureté quand elle regarda M. de Solis, en qui elle semblait puiser la force d’achever l’entreprise qu’elle avait secrètement formée. Pendant le dîner, malgré l’allégresse qui animait les physionomies et les paroles, le père et la fille s’examinèrent avec défiance et curiosité. Balthazar ne fit à Marguerite aucune question sur son séjour à Paris, sans doute par dignité paternelle. Emmanuel de Solis imita cette réserve. Mais Pierquin, qui était habitué à connaître tous les secrets de famille, dit à Marguerite en couvrant sa curiosité sous