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Marguerite embrassa son père, lui dit adieu, fit ses recommandations à Josette, à Félicie, et partit en poste pour Paris. Le grand-oncle devenu veuf n’avait qu’une fille de douze ans et possédait une immense fortune, il n’était donc pas impossible qu’il voulût se marier ; aussi les habitants de Douai crurent-ils que Mlle Claës épousait son grand-oncle. Le bruit de ce riche mariage ramena Pierquin le notaire chez les Claës. Il s’était fait de grands changements dans les idées de cet excellent calculateur. Depuis deux ans, la société de la ville s’était divisée en deux camps ennemis. La noblesse avait formé un premier cercle, et la bourgeoisie un second, naturellement fort hostile au premier.

Cette séparation subite qui eut lieu dans toute la France et la partagea en deux nations ennemies, dont les irritations jalouses allèrent en croissant, fut une des principales raisons qui firent adopter la révolution de juillet 1830 en province. Entre ces deux sociétés, dont l’une était ultra-monarchique et l’autre ultra-libérale, se trouvaient les fonctionnaires admis, suivant leur importance, dans l’un et dans l’autre monde, et qui, au moment de la chute du pouvoir légitime, furent neutres.

Au commencement de la lutte entre la noblesse et la bourgeoisie, les Cafés royalistes contractèrent une splendeur inouïe, et rivalisèrent si brillamment avec les Cafés libéraux, que ces sortes de fêtes gastronomiques coûtèrent, dit-on, la vie à plusieurs personnages qui, semblables à des mortiers mal fondus, ne purent résister à ces exercices. Naturellement, les deux sociétés devinrent exclusives et s’épurèrent. Quoique fort riche pour un homme de province, Pierquin fut exclu des cercles aristocratiques, et refoulé dans ceux de la bourgeoisie.

Son amour-propre eut beaucoup à souffrir des échecs successifs qu’il reçut en se voyant insensiblement éconduit par les gens avec lesquels il frayait naguère. Il atteignait l’âge de quarante ans, seule époque de la vie où les hommes qui se destinent au mariage puissent encore épouser des personnes jeunes. Les partis auxquels il pouvait prétendre appartenaient à la bourgeoisie, et son ambition tendait à rester dans le haut monde, où devait l’introduire une belle alliance. L’isolement dans lequel vivait la famille Claës l’avait rendue étrangère à ce mouvement social. Quoique Claës appartînt à la vieille aristocratie de la province, il était vraisemblable que ses préoccupations l’empêcheraient d’obéir aux antipathies créées par ce nouveau classement de personnes. Quelque pauvre qu’elle pût être, une demoiselle Claës apportait à