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— Eh bien ! payez-les de vos gages, dit Martha, ces lettres d’échange ?

— Il n’y a point de beurre à mettre sur mon pain ? dit Lemulquinier à Josette.

— Et de l’argent pour en acheter ? répondit aigrement la cuisinière. Comment, vieux monstre, si vous faites de l’or dans votre cuisine de démon, pourquoi ne vous faites-vous pas un peu de beurre ? ce ne serait pas si difficile, et vous en vendriez au marché de quoi faire aller la marmite.

Nous mangeons du pain sec, nous autres ! Ces deux demoiselles se contentent de pain et de noix, vous seriez donc mieux nourri que les maîtres ?

Mademoiselle ne veut dépenser que cent francs par mois pour toute la maison. Nous ne faisons plus qu’un dîner. Si vous voulez des douceurs, vous avez vos fourneaux là-haut où vous fricassez des perles, qu’on ne parle que de ça au marché.

Faites-vous-y des poulets rôtis. » Lemulquinier prit son pain et sortit.

« Il va acheter quelque chose de son argent, dit Martha, tant mieux, ce sera autant d’économisé.

Est-il avare, ce Chinois-là !

— Fallait le prendre par la famine, dit Josette.

Voilà huit jours qu’il n’a rien frotté nulle part, je fais son ouvrage, il est toujours là-haut ; il peut bien me payer de ça, en nous régalant de quelques harengs, qu’il en apporte, je m’en vais joliment les lui prendre !

— Ah ! dit Martha, j’entends Mlle Marguerite qui pleure. Son vieux sorcier de père avalera la maison sans dire une parole chrétienne, le sorcier. Dans mon pays, on l’aurait déjà brûlé vif ; mais ici l’on n’a pas plus de religion que chez les Maures d’Afrique. » Mlle Claës étouffait mal ses sanglots en traversant la galerie. Elle gagna sa chambre, chercha la lettre de sa mère, et lut ce qui suit :

« Mon enfant, si Dieu le permet, mon esprit sera dans ton cœur quand tu liras ces lignes, les dernières que j’aurai tracées ! elles sont pleines d’amour pour mes chers petits qui restent abandonnés à un démon auquel je n’ai pas su résister.

Il aura donc absorbé votre pain, comme il a dévoré ma vie et même mon amour. Tu savais, ma bien-aimée, si j’aimais ton père ! je vais expirer l’aimant moins, puisque je prends contre lui des