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se marierait pas avant d’avoir atteint sa vingt-cinquième année.

Malgré les efforts de sa fille, malgré de violents combats, au commencement de l’hiver, Balthazar reprit secrètement ses travaux, Il était difficile de cacher de telles occupations à des femmes curieuses. Un jour donc, Martha dit à Marguerite en l’habillant : « Mademoiselle, nous sommes perdues ! Ce monstre de Mulquinier, qui est le diable déguisé, car je ne lui ai jamais vu faire le signe de la croix, est remonté dans le grenier.

Voilà monsieur votre père embarqué pour l’enfer.

Fasse le ciel qu’il ne vous tue pas comme il a tué cette pauvre chère madame.

— Cela n’est pas possible, dit Marguerite.

— Venez voir la preuve de leur trafic… » Mlle Claës courut à la fenêtre et aperçut en effet une légère fumée qui sortait par le tuyau du laboratoire.

« J’ai vingt et un ans dans quelques mois, pensa-t-elle, je saurai m’opposer à la dissipation de notre fortune. » En se laissant aller à sa passion, Balthazar dut nécessairement avoir moins de respect pour les intérêts de ses enfants qu’il n’en avait eu pour sa femme. Les barrières étaient moins hautes, sa conscience était plus large, sa passion devenait plus forte. Aussi marcha-t-il dans sa carrière de gloire, de travail, d’espérance et de misère avec la fureur d’un homme plein de conviction. Sûr du résultat, il se mit à travailler nuit et jour avec un emportement dont s’effrayèrent ses filles qui ignoraient combien est peu nuisible le travail auquel un homme se plaît. Aussitôt que son père eut recommencé ses expériences, Marguerite retrancha les superfluités de la table, devint d’une parcimonie digne d’un avare, et fut admirablement secondée par Josette et par Martha. Claës ne s’aperçut pas de cette réforme qui réduisait la vie au strict nécessaire. D’abord il ne déjeunait pas, puis il ne descendait de son laboratoire qu’au moment même du dîner, enfin il se couchait quelques heures après être resté dans le parloir entre ses deux filles, sans leur dire un mot. Quand il se retirait, elles lui souhaitaient le bonsoir, et il se laissait embrasser machinalement sur les deux joues. Une semblable conduite eût causé les plus grands malheurs domestiques si Marguerite n’avait été préparée à exercer l’autorité d’une mère, et prémunie par une passion secrète contre les malheurs d’une si grande liberté. Pierquin avait cessé de venir voir ses cousines, en jugeant que leur ruine allait être complète. Les propriétés