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— Si je puis être émancipée sans me marier, pourquoi voulez-vous donc que je me marie ? Et avec qui ? » Pierquin essaya de regarder sa cousine d’un air tendre, mais cette expression contrastait si bien avec la rigidité de ses yeux habitués à parler d’argent, que Marguerite crut apercevoir du calcul dans cette tendresse improvisée.

« Vous auriez épousé la personne qui vous aurait plu… dans la ville… reprit-il. Un mari vous est indispensable, même comme affaire. Vous allez être en présence de votre père. Seule, lui résisterez-vous ?

— Oui, monsieur, je saurai défendre mes frères et ma sœur, quand il en sera temps. » « Peste, la commère ! » se dit Pierquin. « Non, vous ne saurez pas lui résister, reprit-il à haute voix.

— Brisons sur ce sujet, dit-elle.

— Adieu, cousine, je tâcherai de vous servir malgré vous, et je prouverai combien je vous aime en vous protégeant, malgré vous, contre un malheur que tout le monde prévoit en ville.

— Je vous remercie de l’intérêt que vous me portez ; mais je vous supplie de ne rien proposer ni faire entreprendre qui puisse causer le moindre chagrin à mon père. » Marguerite resta pensive en voyant Pierquin s’éloigner, elle en compara la voix métallique, les manières qui n’avaient que la souplesse des ressorts, les regards qui peignaient plus de servilisme que de douceur, aux poésies mélodieusement muettes dont les sentiments d’Emmanuel étaient revêtus. Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, il existe un magnétisme admirable dont les effets ne trompent jamais. Le son de la voix, le regard, les gestes passionnés de l’homme aimant peuvent s’imiter, une jeune fille peut être trompée par un habile comédien ; mais pour réussir, ne doit-il pas être seul ? Si cette jeune fille a près d’elle une âme qui vibre à l’unisson de ses sentiments, n’a-t-elle pas bientôt reconnu les expressions du véritable amour ? Emmanuel se trouvait en ce moment, comme Marguerite, sous l’influence des nuages qui, depuis leur rencontre, avaient formé fatalement une sombre atmosphère au-dessus de leurs têtes, et qui leur dérobaient la vue du ciel bleu de l’amour. Ii avait, pour son Élue, cette idolâtrie que le défaut d’espoir rend si douce et si mystérieuse dans ses pieuses manifestations. Socialement placé trop loin de Mlle Claës par son peu de fortune et n’