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fils qui pleurent trop leurs pères, elle anathématise ceux qui ne les pleurent pas assez ; puis elle s’amuse, elle à soupeser les cadavres avant qu’ils ne soient refroidis. Le soir du jour où Mme Claës expira, les amis de cette femme jetèrent quelques fleurs sur sa tombe entre deux parties de whist, rendirent hommage à ses belles qualités en cherchant du cœur ou du pique.

Puis, après quelques phrases lacrymales qui sont l’A, bé, bi, bo, bu de la douleur collective, et qui se prononcent avec les mêmes intonations, sans plus ni moins de sentiment, dans toutes les villes de France et à toute heure, chacun chiffra le produit de cette succession. Pierquin, le premier, fit observer à ceux qui causaient de cet événement que la mort de cette excellente femme était un bien pour elle, son mari la rendait trop malheureuse ; mais que c’était, pour ses enfants, un plus grand bien encore ; elle n’aurait pas su refuser sa fortune à son mari qu’elle adorait, tandis qu’aujourd’hui Claës n’en pouvait plus disposer.

Et chacun d’estimer la succession de la pauvre Mme Claës, de supputer ses économies (en avait-elle fait ? n’en avait-elle pas fait ?), d’inventorier ses bijoux, d’étaler sa garde-robe, de fouiller ses tiroirs, pendant que la famille affligée pleurait et priait autour du lit mortuaire. Avec le coup d’œil d’un Juré peseur de fortunes, Pierquin calcula que les propres de Mme Claës, pour employer son expression, pouvaient encore se retrouver et devaient monter à une somme d’environ quinze cent mille francs représentée soit par la forêt de Waignies dont les bois avaient depuis douze ans acquis un prix énorme, et il en compta les futaies, les baliveaux, les anciens, les modernes, soit par les biens de Balthazar qui était encore bon pour remplir ses enfants, si les valeurs de la liquidation ne l’acquittaient pas envers eux. Mlle Claës était donc, pour toujours parler son argot, une fille de quatre cent mille francs. « Mais si elle ne se marie pas promptement, ajouta-t-il, ce qui l’émanciperait, et permettrait de liciter la forêt de Waignies, de liquider la part des mineurs, et de l’employer de manière à ce que le père n’y touche pas, M. Claës est homme à ruiner ses enfants. » Chacun chercha quels étaient dans la province les jeunes gens capables de prétendre à la main de Mlle Claës, mais personne ne fit au notaire la galanterie de l’en supposer digne. Le notaire trouvait des raisons pour rejeter chacun des partis proposés comme indigne de Marguerite. Les interlocuteurs se regardaient en souriant, et prenaient plaisir à prolonger