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indirects, de promesses inachevées, d’épanouissements comprimés pouvaient se comparer à ces allégories peintes par Raphaël sur des fonds noirs. Ils avaient l’un et l’autre une certitude qu’ils ne s’avouaient pas ; ils savaient le soleil au-dessus d’eux, mais ils ignoraient quel vent chasserait les gros nuages noirs amoncelés sur leurs têtes ; ils doutaient de l’avenir, et craignant d’être toujours escortés par les souffrances, ils restaient timidement dans les ombres de ce crépuscule, sans oser se dire : Achèverons-nous ensemble la journée ?

Néanmoins la tendresse que Mme Claës témoignait à ses enfants cachait noblement tout ce qu’elle se taisait à elle-même. ses enfants ne lui causaient ni tressaillement ni terreur, ils étaient sa consolation, mais ils n’étaient pas sa vie, elle vivait par eux, elle mourait pour Balthazar. Quelque pénible que fût pour elle la présence de son mari pensif durant des heures entières, et qui lui jetait de temps en temps un regard monotone, elle n’oubliait ses douleurs que pendant ces cruels instants.

L’indifférence de Balthazar pour cette femme mourante eût semblé criminelle à quelque étranger qui en aurait été le témoin ; mais Mme Claës et ses filles s’y étaient accoutumées, elles connaissaient le cœur de cet homme, et l’absolvaient. si, pendant la journée, Mme Claës subissait quelque crise dangereuse, si elle se trouvait plus mal, si elle paraissait près d’expirer, Claës était le seul dans la maison et dans la ville qui l’ignorât, Lemulquinier, son valet de chambre, le savait ; mais ni ses filles auxquelles leur mère imposait silence, ni sa femme ne lui apprenaient les dangers que courait une créature jadis si ardemment aimée. Quand son pas retentissait dans la galerie au moment où il venait dîner, Mme Claës était heureuse, elle allait le voir, elle rassemblait ses forces pour goûter cette joie. À l’instant où il entrait, cette femme pâle et demi-morte se colorait vivement, reprenait un semblant de santé, le savant arrivait auprès du lit, lui prenait la main, et la voyait sous une fausse apparence ; pour lui seul, elle était bien. Quand il lui demandait : « Ma chère femme, comment vous trouvez-vous aujourd’hui ? » elle lui répondait :

« Mieux, mon ami ! » et faisait croire à cet homme distrait que le lendemain elle serait levée, rétablie.

La préoccupation de Balthazar était si grande qu’il acceptait la maladie dont mourait sa femme, comme une simple indisposition. Moribonde pour tout le monde, elle était vivante pour lui. Une séparation complète entre ces époux fut le résultat de cette année. Claës couchait loin de sa