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La joie qui soudainement éclaira le visage de son mari mit le comble au désespoir de Joséphine ; elle vit avec douleur que la passion de cet homme était plus forte que lui. Claës avait confiance en son œuvre pour marcher sans trembler dans une voie qui, pour sa femme, était un abîme. À lui la foi, à elle le doute, à elle le fardeau le plus lourd :

la femme ne souffre-t-elle pas toujours pour deux ?

En ce moment elle se plut à croire au succès, voulant se justifier à elle-même sa complicité dans la dilapidation probable de leur fortune.

« L’amour de toute ma vie ne suffirait pas à reconnaître ton dévouement, Pépita », dit Claës attendri.

À peine achevait-il ces paroles que Marguerite et Félicie entrèrent, et leur souhaitèrent le bonjour.

Mme Claës baissa les yeux, et resta pendant un moment interdite, devant ses enfants dont la fortune venait d’être aliénée au profit d’une chimère, tandis que son mari les prit sur ses genoux et causa gaiement avec eux, heureux de pouvoir déverser la joie qui l’oppressait. Mme Claës entra dès lors dans la vie ardente de son mari. L’avenir de ses enfants, la considération de leur père furent pour elle deux mobiles aussi puissants que l’étaient pour Claës la gloire et la science. Aussi, cette malheureuse femme n’eut-elle plus une heure de calme, quand tous les diamants de la maison furent vendus à Paris par l’entremise de l’abbé de Solis, son directeur, et que les fabricants de produits chimiques eurent recommencé leurs envois. Sans cesse agitée par le démon de la Science et par cette fureur de recherches qui dévorait son mari, elle vivait dans une attente continuelle, et demeurait comme morte pendant des journées entières, clouée dans sa bergère par la violence même de ses désirs, qui, ne trouvant point comme ceux de Balthazar une pâture dans les travaux du laboratoire, tourmentèrent son âme en agissant sur ses doutes et sur ses craintes. Par moments, se reprochant sa complaisance pour une passion dont le but était impossible et que M. de Solis condamnait, elle se levait, allait à la fenêtre de la cour intérieure, et regardait avec terreur la cheminée du laboratoire. S’il s’en échappait de la fumée, elle la contemplait avec désespoir, les idées les plus contraires agitaient son cœur et son esprit. Elle voyait s’enfuir en fumée la fortune de ses enfants ; mais elle sauvait la vie de leur père : n’était-ce pas son premier devoir de le rendre heureux ?

Cette dernière pensée la calmait pour un moment.

Elle avait obtenu de pouvoir entrer dans le laboratoire et d’y rester, mais il lui fallut