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à son laboratoire, Balthazar y était resté. Mme Claës avait donc eu le temps de réfléchir. Et elle aussi demeura songeuse, sans faire attention à l’heure ni au temps, ni au jour. La pensée de devoir trente mille francs et de ne pouvoir les payer, réveilla les douleurs passées, les joignit à celles du présent et de l’avenir. Cette masse d’intérêts, d’idées, de sensations la trouva trop faible, elle pleura. Quand elle vit entrer Balthazar dont alors la physionomie lui parut plus terrible, plus absorbée, plus égarée qu’elle ne l’avait jamais été ; quand il ne lui répondit pas, elle resta d’abord fascinée par l’immobilité de ce regard blanc et vide, par toutes les idées dévorantes que distillait ce front chauve. Sous le coup de cette impression, elle désira mourir. Quand elle eut entendu cette voix insouciante exprimant un désir scientifique au moment où elle avait le cœur écrasé, son courage revint ; elle résolut de lutter contre cette épouvantable puissance qui lui avait ravi un amant, qui avait enlevé à ses enfants un père, à la maison une fortune, à tous le bonheur.

Néanmoins, elle ne put réprimer la constante trépidation qui l’agita, car, dans toute sa vie, il ne s’était pas rencontré de scène si solennelle. Ce moment terrible ne contenait-il pas virtuellement son avenir, et le passé ne s’y résumait-il pas tout entier ?

Maintenant, les gens faibles, les personnes timides, ou celles à qui la vivacité de leurs sensations agrandit les moindres difficultés de la vie, les hommes que saisit un tremblement involontaire devant les arbitres de leur destinée peuvent tous concevoir les milliers de pensées qui tournoyèrent dans la tête de cette femme, et les sentiments sous le poids desquels son cœur fut comprimé, quand son mari se dirigea lentement vers la porte du jardin. La plupart des femmes connaissent les angoisses de l’intime délibération contre laquelle se débattit Mme Claës. Ainsi celles même dont le cœur n’a encore été violemment ému que pour déclarer à leur mari quelque excédent de dépense ou des dettes faites chez la marchande de modes comprendront combien les battements du cœur s’élargissent alors qu’il s’en va de toute la vie.

Une belle femme a de la grâce à se jeter aux pieds de son mari, elle trouve des ressources dans les poses de la douleur, tandis que le sentiment de ses défauts physiques augmentait encore les craintes de Mme Claës. Aussi, quand elle vit Balthazar près de sortir, son premier mouvement fut-il bien de s’élancer vers lui ; mais une cruelle pensée réprima son élan,