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Au jour du triomphe, le bonheur domestique devait donc reparaître d’autant plus éclatant que Balthazar s’apercevrait de cette lacune dans sa vie amoureuse que son cœur désavouerait sans doute.

Joséphine connaissait assez son mari pour savoir qu’il ne se pardonnerait pas d’avoir rendu sa Pépita moins heureuse pendant plusieurs mois. Elle gardait donc le silence en éprouvant une espèce de joie à souffrir par lui, pour lui ; car sa passion avait une teinte de cette piété espagnole qui ne sépare jamais la foi de l’amour, et ne comprend point le sentiment sans souffrances. Elle attendait donc un retour d’affection en se disant chaque soir : « Ce sera demain ! » et en traitant son bonheur comme un absent. Elle conçut son dernier enfant au milieu de ces troubles secrets. Horrible révélation d’un avenir de douleur ! En cette circonstance, l’amour fut, parmi les distractions de son mari, comme une distraction plus forte que les autres. Son orgueil de femme, blessé pour la première fois, lui fit sonder la profondeur de l’abîme inconnu qui la séparait à jamais du Claës des premiers jours. Dès ce moment, l’état de Balthazar empira. Cet homme, naguère incessamment plongé dans les joies domestiques, qui jouait pendant des heures entières avec ses enfants, se roulait avec eux sur le tapis du parloir ou dans les allées du jardin, qui semblait ne pouvoir vivre que sous les yeux noirs de sa Pépita, ne s’aperçut point de la grossesse de sa femme, oublia de vivre en famille et s’oublia lui-même. Plus Mme Claës avait tardé à lui demander le sujet de ses occupations, moins elle n’osa. À cette idée, son sang bouillonnait et la voix lui manquait. Enfin elle crut avoir cessé de plaire à son mari et fut alors sérieusement alarmée. Cette crainte l’occupa, la désespéra, l’exalta, devint le principe de bien des heures mélancoliques, et de tristes rêveries. Elle justifia Balthazar à ses dépens en se trouvant laide et vieille ; puis elle entrevit une pensée généreuse mais humiliante pour elle, dans le travail par lequel il se faisait une fidélité négative, et voulut lui rendre son indépendance en laissant s’établir un de ces secrets divorces, le mot du bonheur dont paraissent jouir plusieurs ménages. Néanmoins, avant de dire adieu à la vie conjugale, elle tâcha de lire au fond de ce cœur, mais elle le trouva fermé. Insensiblement, elle vit Balthazar devenir indifférent à tout ce qu’il avait aimé, négliger ses tulipes en fleurs, et ne plus songer à ses enfants.

Sans doute il se livrait à quelque passion en dehors des affections du cœur, mais qui, selon les femmes, n’en dessèche pas