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aise être elle-même, le monde lui fait toujours crédit d’une sottise ou d’une gaucherie ; tandis qu’un seul regard arrête l’expression la plus magnifique sur les lèvres d’une femme laide, intimide ses yeux, augmente la mauvaise grâce de ses gestes, embarrasse son maintien. Ne sait-elle pas qu’à elle seule il est défendu de commettre des fautes, chacun lui refuse le don de les réparer, et d’ailleurs personne ne lui en fournit l’occasion. La nécessité d’être à chaque instant parfaite ne doit-elle pas éteindre les facultés, glacer leur exercice ? Cette femme ne peut vivre que dans une atmosphère d’angélique indulgence. Où sont les cœurs d’où l’indulgence s’épanche sans se teindre d’une amère et blessante pitié ? Ces pensées auxquelles l’avait accoutumée l’horrible politesse du monde, et ces égards qui, plus cruels que des injures, aggravent les malheurs en les constatant, oppressaient Mlle de Temninck, lui causaient une gêne constante qui refoulait au fond de son âme les impressions les plus délicieuses, et frappaient de froideur son attitude, sa parole, son regard. Elle était amoureuse à la dérobée, n’osait avoir de l’éloquence ou de la beauté que dans la solitude.

Malheureuse au grand jour, elle aurait été ravissante s’il lui avait été permis de ne vivre qu’à la nuit. Souvent, pour éprouver cet amour et au risque de le perdre, elle dédaignait la parure qui pouvait sauver en partie ses défauts. Ses yeux d’Espagnole fascinaient quand elle s’apercevait que Balthazar la trouvait belle en négligé. Néanmoins, la défiance lui gâtait les rares instants pendant lesquels elle se hasardait à se livrer au bonheur.

Elle se demandait bientôt si Claës ne cherchait pas à l’épouser pour avoir au logis une esclave, s’il n’avait pas quelques imperfections secrètes qui l’obligeaient à se contenter d’une pauvre fille disgraciée. Ces anxiétés perpétuelles donnaient parfois un prix inouï aux heures où elle croyait à la durée, à la sincérité d’un amour qui devait la venger du monde. Elle provoquait de délicates discussions en exagérant sa laideur, afin de pénétrer jusqu’au fond de la conscience de son amant, elle arrachait alors à Balthazar des vérités peu flatteuses ; mais elle aimait l’embarras où il se trouvait, quand elle l’avait amené à dire que ce qu’on aimait dans une femme était avant tout une belle âme, et ce dévouement qui rend les jours de la vie si constamment heureux ; qu’après quelques années de mariage, la plus délicieuse femme de la terre est pour un mari l’équivalent de la plus laide. Après avoir entassé ce qu’il y avait de vrai dans les paradoxes qui