Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
278
ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

— Elle ne paierait pas mes dettes, car je ne connais pas d’affaire qui ne veuille un temps de cuisson.

— Je connais une affaire qui vous les ferait payer en un moment, reprit Castanier mais qui vous obligerait à…

— À quoi ?

— À vendre votre part du paradis. N’est-ce pas une affaire comme une autre ? Nous sommes tous actionnaires dans la grande entreprise de l’éternité.

— Savez-vous que je suis homme à vous souffleter ?… dit Claparon irrité, il n’est pas permis de faire de sottes plaisanteries à un homme dans le malheur.

— Je parle sérieusement, répondit Castanier en prenant dans sa poche un paquet de billets de banque.

— D’abord, dit Claparon, je ne vendrais pas mon âme au diable pour une misère. J’ai besoin de cinq cent mille francs pour aller…

— Qui vous parle de lésiner ? reprit brusquement Castanier. Vous auriez plus d’or que n’en peuvent contenir les caves de la Banque.

Il tendit une masse de billets qui décida le spéculateur.

— Fait ! dit Claparon. Mais comment s’y prendre ?

— Venez là-bas, à l’endroit où il n’y a personne, répondit Castanier en montrant un coin de la cour.

Claparon et son tentateur échangèrent quelques paroles, chacun le visage tourné contre le mur. Aucune des personnes qui les avaient remarqués ne devina l’objet de cet à parte, quoiqu’elles fussent assez vivement intriguées par la bizarrerie des gestes que firent les deux parties contractantes. Quand Castanier revint, une clameur d’étonnement échappa aux boursiers. Comme dans les assemblées françaises où le moindre événement distrait aussitôt, tous les visages se tournèrent vers les deux hommes qui excitaient cette rumeur, et l’on ne vit pas sans une sorte d’effroi le changement opéré chez eux. À la Bourse, chacun se promène en causant, et tous ceux qui composent la foule se sont bientôt reconnus et observés, car la Bourse est comme une grande table de bouillotte où les habiles savent deviner le jeu d’un homme et l’état de sa caisse d’après sa physionomie. Chacun avait donc remarqué la figure de Claparon et celle de Castanier. Celui-ci, comme l’Irlandais, était nerveux et puissant, ses yeux brillaient, sa carnation