Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
MELMOTH RÉCONCILIÉ.

sortit brusquement et marcha vers l’église de Saint-Sulpice en obéissant à une sorte de fatalité, le repentir de Melmoth l’avait abasourdi. Vers cette époque, un homme célèbre par son éloquence faisait, le matin, à certains jours, des conférences qui avaient pour but de démontrer les vérités de la religion catholique à la jeunesse de ce siècle proclamée par une autre voix non moins éloquente, indifférente en matière de foi. La conférence devait faire place à l’enterrement de l’Irlandais. Castanier arriva précisément au moment où le prédicateur allait résumer avec cette onction gracieuse, avec cette pénétrante parole qui l’ont illustré, les preuves de notre heureux avenir. L’ancien dragon, sous la peau duquel s’était glissé le démon, se trouvait dans les conditions voulues pour recevoir fructueusement la semence des paroles divines commentées par le prêtre. En effet, s’il est un phénomène constaté, n’est-ce pas le phénomène moral que le peuple a nommé la foi du charbonnier ? La force de la croyance se trouve en raison directe du plus ou moins d’usage que l’homme a fait de sa raison. Les gens simples et les soldats sont de ce nombre. Ceux qui ont marché dans la vie sous la bannière de l’instinct, sont beaucoup plus propres à recevoir la lumière que ceux dont l’esprit et le cœur se sont lassés dans les subtilités du monde. Depuis l’âge de seize ans, jusqu’à près de quarante ans, Castanier, homme du midi, avait suivi le drapeau français. Simple cavalier, obligé de se battre le jour, la veille et le lendemain, il devait penser à son cheval avant de songer à lui-même. Pendant son apprentissage militaire, il avait donc eu peu d’heures pour réfléchir à l’avenir de l’homme. Officier, il s’était occupé de ses soldats, et il avait été entraîné de champ de bataille en champ de bataille, sans avoir jamais songé au lendemain de la mort. La vie militaire exige peu d’idées. Les gens incapables de s’élever à ces hautes combinaisons qui embrassent les intérêts de nation à nation, les plans de la politique aussi bien que les plans de campagne, la science du tacticien et celle de l’administrateur, ceux-là vivent dans un état d’ignorance comparable à celle du paysan le plus grossier de la province la moins avancée de France. Ils vont en avant, obéissent passivement à l’âme qui les commande, et tuent les hommes devant eux, comme le bûcheron abat des arbres dans une forêt. Ils passent continuellement d’un état violent qui exige le déploiement des forces phy-