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MELMOTH RÉCONCILIÉ.

je tuerai qui le touchera ! Pourquoi ne veux-tu pas le sauver ? criait-elle d’une voix étincelante, l’œil en feu, les cheveux épars. Le peux-tu ?

— Je puis tout.

— Pourquoi ne le sauves-tu pas ?

— Pourquoi ? cria Castanier dont la voix vibra jusque dans les planchers. Hé ! je me venge ! C’est mon métier de mal faire.

— Mourir, reprit Aquilina, lui, mon amant, est-ce possible ?

Elle bondit jusqu’à sa commode, y saisit un stylet qui était dans une corbeille, et vint à Castanier qui se mit à rire.

— Tu sais bien que le fer ne peut plus m’atteindre.

Le bras d’Aquilina se détendit comme une corde de harpe subitement coupée.

— Sortez, mon cher ami, dit le caissier en se retournant vers le sous-officier ; allez à vos affaires.

Il étendit la main, et le militaire fut obligé d’obéir à la force supérieure que déployait Castanier.

— Je suis ici chez moi, je pourrais envoyer chercher le commissaire de police et lui livrer un homme qui s’introduit dans mon domicile, je préfère vous rendre la liberté : je suis un démon, je ne suis pas un espion.

— Je le suivrai, dit Aquilina.

— Suis-le, dit Castanier. Jenny ?…

Jenny parut.

— Envoyez le portier leur chercher un fiacre.

— Tiens, Naqui, dit Castanier en tirant de sa poche un paquet de billets de banque, tu ne quitteras pas, comme une misérable, un homme qui t’aime encore.

Il lui tendit trois cent mille francs, Aquilina les prit, les jeta par terre, cracha dessus en les piétinant avec la rage du désespoir, en lui disant : — Nous sortirons tous deux à pied, sans un sou de toi. Reste, Jenny.

— Bonsoir ! reprit le caissier en ramassant son argent. Moi, je suis revenu de voyage. — Jenny, dit-il en regardant la femme de chambre ébahie, tu me parais bonne fille. Te voilà sans maîtresse, viens ici ? pour ce soir, tu auras un maître.

Aquilina, se défiant de tout, s’en alla promptement avec le sous-officier chez une de ses amies. Mais Léon était l’objet des soupçons de la police, qui le faisait suivre partout où il allait. Aussi fut-il