Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/231

Cette page a été validée par deux contributeurs.
223
LA PEAU DE CHAGRIN

— Que demandez-vous ! dit-elle. Il est à moi, je l’ai tué, ne l’avais-je pas prédit !

ÉPILOGUE.

Et que devint Pauline ?

— Ah ! Pauline, bien. Êtes-vous quelquefois resté par une douce soirée d’hiver devant votre foyer domestique, voluptueusement livré à des souvenirs d’amour ou de jeunesse en contemplant les rayures produites par le feu sur un morceau de chêne ? Ici la combustion dessine les cases rouges d’un damier, là elle miroite des velours ; de petites flammes bleues courent, bondissent et jouent sur le fond ardent du brasier. Vient un peintre inconnu qui se sert de cette flamme ; par un artifice unique, il trace au sein de ces flamboyantes teintes violettes ou empourprées une figure supernaturelle et d’une délicatesse inouïe, phénomène fugitif que le hasard ne recommencera jamais : c’est une femme aux cheveux emportés par le vent, et dont le profil respire une passion délicieuse : du feu dans le feu ! elle sourit, elle expire, vous ne la reverrez plus. Adieu fleur de la flamme, adieu principe incomplet, inattendu, venu trop tôt ou trop tard pour être quelque beau diamant.

— Mais Pauline ?

— Vous n’y êtes pas ? je recommence. Place ! place ! Elle arrive, la voici la reine des illusions, la femme qui passe comme un baiser, la femme vive comme un éclair, comme lui jaillie brûlante du ciel, l’être incréé, tout esprit, tout amour. Elle a revêtu je ne sais quel corps de flamme, ou pour elle la flamme s’est un moment animée ! Les lignes de ses formes sont d’une pureté qui vous dit qu’elle vient du ciel. Ne resplendit-elle pas comme un ange ? n’entendez-vous pas le frémissement aérien de ses ailes ? Plus légère que l’oiseau, elle s’abat près de vous et ses terribles yeux fascinent ; sa douce, mais puissante haleine attire vos lèvres par une force magique ; elle fuit et vous entraîne, vous ne sentez plus la terre. Vous voulez passer une seule fois votre main chatouillée, votre main fanatisée sur ce corps de neige, froisser ses cheveux d’or, baiser ses yeux étincelants. Une vapeur vous enivre, une musique enchanteresse vous charme. Vous tressaillez de tous vos nerfs, vous êtes tout désir, tout souffrance. Ô bonheur sans nom ! vous avez touché les lè-