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LA PEAU DE CHAGRIN

complissement d’un ordre de choses qui nous est inconnu. La portion du grand tout, qui par une haute volonté vient opérer, entretenir en nous le phénomène de l’animation, se formule d’une manière distincte dans chaque homme, et fait de lui un être en apparence fini, mais qui par un point coexiste à une cause infinie. Aussi, devons nous étudier chaque sujet séparément, le pénétrer, reconnaître en quoi consiste sa vie, quelle en est la puissance. Depuis la mollesse d’une éponge mouillée jusqu’à la dureté d’une pierre ponce, il y a des nuances infinies. Voilà l’homme. Entre les organisations spongieuses des lymphatiques et la vigueur métallique des muscles de quelques hommes destinés à une longue vie, que d’erreurs ne commettra pas le système unique, implacable, de la guérison par l’abattement, par la prostration des forces humaines que vous supposez toujours irritées ! Ici donc, je voudrais un traitement tout moral, un examen approfondi de l’être intime. Allons chercher la cause du mal dans les entrailles de l’âme et non dans les entrailles du corps ! Un médecin est un être inspiré, doué d’un génie particulier, à qui Dieu concède le pouvoir de lire dans la vitalité, comme il donne aux prophètes des yeux pour contempler l’avenir, au poète la faculté d’évoquer la nature, au musicien celle d’arranger les sons dans un ordre harmonieux dont le type est en haut, peut-être !…

— Toujours sa médecine absolutiste, monarchique et religieuse, dit Brisset en murmurant.

— Messieurs, reprit promptement Maugredie en couvrant avec promptitude l’exclamation de Brisset, ne perdons pas de vue le malade…

— Voilà donc où en est la science ! s’écria tristement Raphaël. Ma guérison flotte entre un rosaire et un chapelet de sangsues, entre le bistouri de Dupuytren et la prière du prince de Hohenlohe ! Sur la ligne qui sépare le fait de la parole, la matière de l’esprit, Maugredie est là, doutant. Le oui et non humain me poursuit partout ! Toujours le Carimary, Carymara de Rabelais : je suis spirituellement malade, carymary ! ou matériellement malade, carymara ! Dois-je vivre ? ils l’ignorent. Au moins Planchette était-il plus franc, en me disant : Je ne sais pas.

En ce moment, Valentin entendit la voix du docteur Maugredie.

— Le malade est monomane, eh ! bien, d’accord, s’écria-t-il, mais il a deux cent mille livres de rente : ces monomanes-là sont