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LA PEAU DE CHAGRIN

aimant même en rêve, au moment où la créature semble cesser d’être, et vous offrant encore une bouche muette qui dans le sommeil vous parle du dernier baiser ! voir une femme confiante, demi-nue, mais enveloppée dans son amour comme dans un manteau, et chaste au sein du désordre ; admirer ses vêtements épars, un bas de soie rapidement quitté la veille pour vous plaire, une ceinture dénouée qui vous accuse une foi infinie, n’est-ce pas une joie sans nom ? Cette ceinture est un poème entier : la femme qu’elle protégeait n’existe plus, elle vous appartient, elle est devenue vous ; désormais la trahir, c’est se blesser soi-même. Raphaël attendri contempla cette chambre chargée d’amour, pleine de souvenirs, où le jour prenait des teintes voluptueuses, et revint à cette femme aux formes pures, jeunes, aimante encore, dont surtout les sentiments étaient à lui sans partage. Il désira vivre toujours. Quand son regard tomba sur Pauline, elle ouvrit aussitôt les yeux comme si un rayon de soleil l’eût frappée.

— Bonjour, ami ! dit-elle en souriant. Es-tu beau, méchant !

Ces deux têtes empreintes d’une grâce due à l’amour, à la jeunesse, au demi-jour et au silence formaient une de ces divines scènes dont la magie passagère n’appartient qu’aux premiers jours de la passion, comme la naïveté, la candeur sont les attributs de l’enfance. Hélas ! ces joies printanières de l’amour, de même que les rires de notre jeune âge, doivent s’enfuir et ne plus vivre que dans notre souvenir pour nous désespérer ou nous jeter quelque parfum consolateur, selon les caprices de nos méditations secrètes.

— Pourquoi t’es-tu réveillée ? dit Raphaël. J’avais tant de plaisir à te voir endormie, j’en pleurais.

— Et moi aussi, répondit-elle, j’ai pleuré cette nuit en te contemplant dans ton repos, mais non pas de joie. Écoute, mon Raphaël, écoute-moi ? Lorsque tu dors, ta respiration n’est pas franche, il y a dans ta poitrine quelque chose qui résonne, et qui m’a fait peur. Tu as pendant ton sommeil une petite toux sèche, absolument semblable à celle de mon père qui meurt d’une phthisie. J’ai reconnu dans le bruit de tes poumons quelques-uns des effets bizarres de cette maladie. Puis tu avais la fièvre, j’en suis sûre, ta main était moite et brûlante. Chéri ! tu es jeune, dit-elle en frissonnant, tu pourrais te guérir encore si, par malheur… Mais non, s’écria-t-elle joyeusement, il n’y a pas de malheur, la maladie se